Les autorités chinoises ont suivi avec attention la tentative de mutinerie d’Evguéni Prigojine et son échec.
Elles n’ont pas dû être rassurées samedi matin en voyant un Vladimir Poutine, blême, dénoncer un coup de poignard dans le dos et appeler les Russes à se réunir autour de lui. À ce moment-là, Vladimir Poutine lui-même ne semblait pas être totalement certain d’être en mesure de rester au pouvoir. Une guerre civile ou un affrontement entre une milice et l’armée en Russie, débouchant sur le chaos, et une Russie devenue incontrôlable est un scénario redouté à Pékin comme dans les capitales occidentales. Malgré leurs rivalités, Chinois et Occidentaux ont intérêt à voir un affaiblissement relatif de la Russie, mais pas au point d’atteindre un effondrement et une rupture d’un véritable contrôle étatique d’un pays de 11 fuseaux horaires doté de 6000 armes nucléaires. Pire encore pour Pékin, cela signifierait une victoire de l’ « Occident global ».
La Chine a réaffirmé son soutien à Vladimir Poutine, mais reste inquiète. Au-delà des déclarations d’amitié « solide comme le roc », les Chinois sont un peu circonspects devant l’attitude de la Russie. Ils sont alliés de circonstances pour lutter contre une domination occidentale ou américaine du monde. Mais les Chinois ont vu d’un très mauvais œil le déclenchement de la guerre en Ukraine. Et les suites de l’opération donnent raison à la réticence. Ils sont pour un monde stable dans lequel leur puissance s’affirme et dans lequel elle deviendrait naturellement la première puissance mondiale. La guerre en Ukraine a resserré les liens au sein du monde occidental, augmenté les prix de l’énergie et des matières premières alimentaires, ce qui est défavorable à la Chine.
Les Chinois avaient tiré comme leçon du renversement de Mikhaïl Gorbatchev qu’il ne fallait surtout pas diminuer l’autorité du Parti communiste sur la société sauf à être entraîné dans une chute incontrôlable. Ils doivent penser que Vladimir Poutine a joué avec le feu en laissant une milice privée se développer parallèlement à l’armée officielle. Il aurait été proprement inimaginable en Chine qu’une milice privée puisse devenir aussi importante, et encore plus que son leader puisse critiquer ouvertement le chef de l’État-major des armées ou le ministre de la Défense. On a vu ce qui est arrivé à Jack Ma, le patron d’Ali Baba, un des hommes les plus puissants et les plus riches de Chine, qui avait osé prendre quelques légères libertés avec la ligne officielle. Il a été réduit au silence et son empire a été démantelé. En Chine, le principe maoïste, le parti commande au fusil, reste d’actualité et il a été étendu par les BATX.
Les malheurs de la Russie, s’ils ne s’approfondissent pas, peuvent servir la Chine. Ils sont partenaires, mais également concurrents face au « Sud global ». Avant la guerre, on pouvait affirmer que la Russie était l’acteur central au Proche-Orient, le seul qui parlait à toutes les parties, Hamas comme Israël, Arabie saoudite comme Iran. Récemment, c’est sous l’égide de la Chine que la réconciliation entre Riyad et Téhéran est intervenue. Aujourd’hui en Afrique, le coup de force de Prigojine peut susciter quelques interrogations sur la fiabilité de Wagner comme partenaire militaire pour les régimes africains qui le considèrent comme tel. Face à une Russie de plus en plus imprévisible, de moins en moins fiable, face à un Occident qui n’hésite toujours pas à donner des leçons tout en pratiquant les doubles standards, la Chine apparaît comme un partenaire sur lequel on peut vraiment compter.
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