Le nécessaire retour du dialogue Paris-Moscou

Les relations entre Paris et Moscou ont connu une profonde crise, particulièrement depuis 2014 et l’annexion de la Crimée. Mais la relation entre les deux pays reste majeure. Les contacts entre hauts représentants n’ont en effet jamais été coupés, et sont au contraire relativement fréquents.

En 2014, la France a soutenu la mise en place des sanctions occidentales et européennes contre la Russie. Cependant, François Hollande avait refusé d’écouter ceux qui souhaitaient que Vladimir Poutine ne soit pas convié au 70ème anniversaire du débarquement.

Le fameux « format Normandie » a été créé à ce moment-là, et constituait une première étape vers les accords de Minsk. Ces accords n’ont pas réellement généré la paix escomptée, mais ils ont eu le mérite d’empêcher une guerre plus globale.

Au cours de sa campagne électorale, E. Macron a plusieurs fois revendiqué son attachement à la politique « Gaullo-Mitterandiste », critiquant implicitement ses deux prédécesseurs, accusés d’avoir eu des inclinations néoconservatrices.

Peu de temps après son élection, il recevait Vladimir Poutine dans le faste et la grandeur de Versailles, faisant taire les nombreuses voix qui lui conseillaient de ne pas rencontrer le président russe, et notamment les médias français, relativement hostiles à Poutine.

Depuis, la relation entre les deux hommes, et au-delà entre les deux pays, n’a connu ni dégradation ni amélioration, et reste ambivalente. Au regard des enjeux stratégiques majeurs, Paris et Moscou semblent converger sur certains points, diverger sur d’autres.

L’Ukraine est certainement le principal sujet d’animosité. Paris, comme les autres capitales occidentales, ne reconnait pas l’annexion de la Crimée, violation du droit international, consistant en une modification de frontières par la force, la première depuis la Seconde Guerre mondiale. La comparaison avec le Kosovo est niée par les membres de l’OTAN. Et peu sont les Occidentaux à oser la comparaison de l’annexion de la Crimée avec l’intervention en Irak de 2003, en termes de violation du droit et de conséquences stratégiques dramatiques. Mais chacun est conscient qu’une restitution de la Crimée à l’Ukraine est tout à fait inconcevable.

Pendant la guerre froide, le fait que le monde occidental n’avait jamais reconnu officiellement l’annexion des États baltes (qui avait eu lieu durant la Seconde Guerre mondiale) n’a pas empêché la mise en place d’une politique de Détente, bénéfique aux deux camps.

Macron vient de recevoir le nouveau président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Il faudra être attentif à la politique de ce dernier dans le Donbass et à l’égard de la Russie. Mais il serait naïf d’agir comme si seule Moscou était coupable de la prolongation du conflit. La pression doit également être mise sur Kiev pour régler ce conflit.

Sur le dossier syrien, le fossé est également important. Il est impensable que la France ou tout autre pays européen accepte de participer à la reconstruction d’une Syrie dirigée par Bashar al-Assad. Non seulement parce que cela signifierait récompenser un criminel de guerre, mais surtout parce qu’il s’agirait de reconstruire le pays sur du sable. Dans l’esprit des Européens, une véritable paix durable reste inenvisageable aussi longtemps que Bashar sera au pouvoir.

Si la Syrie et l’Ukraine constituent de véritables points de friction dans la relation entre Paris et Moscou, sur d’autres sujets, les deux pays semblent être sur la même longueur d’onde.

Ils sont tous deux en désaccord avec l’unilatéralisme américain, en ce qui concerne notamment l’UNESCO, l’accord de Paris sur le climat, ou encore le déménagement de l’ambassade américaine de TLV à Jérusalem. Mais ils sont surtout critiques à l’égard de Trump et de sa politique vis-à-vis de Téhéran, en dénonçant son plan d’action. L’accord JCPOA est le fruit de 12 ans de négociations, et permet d’éviter deux scénarios catastrophes : un Iran nucléaire, et une intervention pour empêcher l’Iran de développer un arsenal. Mais surtout, ils considèrent inacceptable la volonté américaine d’interdire à tout pays de commercer avec l’Iran, témoin d’un véritable déni de souveraineté de la part de Washington, inacceptable au XXIe siècle.

On pourrait ajouter à cela que la France a toujours bénéficié du soutien russe dans son intervention au Mali.

Macron s’est lui-même présenté comme héritier du « Gaullo-Mitterrandisme », il doit désormais agir en conséquence. Cela signifie que, même en tant que membre de l’OTAN, Paris doit fixer son propre agenda à l’égard de Moscou et ne doit se laisser guider ni par l’OTAN ni par le Pentagone animé par une opposition structurelle à Moscou.

Paris et Moscou ne sont ni alliés ni ennemis. Ils pourraient et devraient être partenaires. La France doit jouer un rôle leader pour essayer de restaurer un minimum de confiance entre la Russie et l’UE, et faire en sorte que l’UE adopte une politique bien distincte de celle de l’OTAN.

Le retour de la Russie au sein du Conseil de l’Europe le 24 juin dernier constitue la première levée de sanctions européennes depuis 2014 et révèle la volonté franco-allemande de reprise de dialogue avec Moscou.

 

J’ai publié, en janvier 2019, Requiem pour le monde occidental aux éditions Eyrolles.

Cet article est à retrouver sur Mediapart Le Club.