Diplomate, Didier Le Bret a dirigé en 2012 le centre de crise du ministère des Affaires étrangères, avant d’être nommé, en 2015, coordonnateur national du Renseignement, puis de se lancer dans la bataille des législatives de 2017. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « L’homme au défi des crises : pourquoi le pire n’est jamais certain », aux éditions Robert Laffont.
Selon vous, l’armée est-elle l’unique structure à avoir conservé le sens du temps long ?
C’est en tout cas un des exemples les plus emblématiques de l’inscription d’une institution dans le temps long. Avec trois paramètres très structurants : le consensus politique sur l’analyse des menaces et des priorités autour du « Livre blanc » ; la programmation budgétaire pluriannuelle (loi de programmation) ; le développement de grands programmes qui requièrent également de la durée. Cette constance dans l’effort, indispensable à notre défense, est perçue positivement par les Français, qui plébiscitent notre armée.
De manière générale, les politiques dites « régaliennes » ont tendance à épouser plus facilement le temps long. La diplomatie en est un des exemples les plus évidents. Il peut toujours y avoir des revirements brutaux, des changements de cap. Mais l’Histoire, comme la Géographie, ont tendance à restreindre le champ des possibles. Les pays du Maghreb, comme l’Afrique, auront toujours de fortes attentes vis-à-vis de la France : outre la proximité géographique, nous avons en partage une Langue et une Histoire communes.
Est-ce que la focalisation sur le temps court rend pessimiste ?
Le temps court condamne à l’aveuglement. On ne voit que ce que l’on nous donne à voir. Avec un paradoxe : jamais nous n’avons été à ce point interconnectés les uns aux autres. Nous savons tout de tous partout. Mais ce sont là des données brutes qui, dans le meilleur des cas, peuvent prendre la forme d’informations une fois triées. Elles ne font pas pour autant sens. Elles ne livrent pas une tendance. C’est cela qui peut rendre pessimiste : la perte de boussole. Comme le disait Sénèque, il n’y a pas de vent favorable pour qui ne connaît pas son port.
Vous estimez qu’au défi des crises, le monde va, contrairement aux apparences, s’améliorer. Pouvez-vous développer ?
L’Homme n’est jamais aussi « efficace » que dos au mur. C’est moins une question de sagesse que de survie ! Nous sommes « programmés », voire « condamnés » à surmonter les épreuves. Notre dénuement absolu, l’impossibilité à demeurer à l’état de nature, sauf à disparaître, a fait des Hommes des machines de guerre. Et c’est là sans doute aujourd’hui notre force mais aussi notre principal défi. Il nous faut désormais nous réinventer. Ce sera sans doute l’étape la plus difficile, puisqu’elle consiste à sortir de notre toute puissance, à renoncer au mythe des technosciences qui travaillent à notre salut, pour envisager d’autres voies. Le tout, pour rendre notre empreinte sur terre plus légère, et, retour à la première question, s’inscrire à nouveau dans le temps long.
Les signes de ces changements sont déjà là et dans tous les domaines. L’aspiration à être mieux gouverné, par exemple, peut conduire dans un premier temps à faire triompher les populismes, qui proposent de mauvaises réponses aux vrais problèmes et s’adressent à nos peurs (le déclassement, le remplacement…). Elle peut aussi réinventer le lien entre citoyens et responsables politiques autour d’un nouveau pacte et de nouvelles pratiques : consultations régulières, participation citoyenne directe, ouverture de la classe politique à la société civile (etc.) en vue de son renouvellement, pour plus de légitimité…
Deuxième exemple, la révolution numérique. Impactant l’ensemble des secteurs de la vie des Hommes, elle balaye tout sur son passage. Elle fascine autant qu’elle inquiète. Mais c’est aussi une formidable opportunité. Elle a déjà contribué en moins de vingt ans à désenclaver l’Afrique. Elle lui a permis, tout autant que les politiques d’aide publique, d’être un acteur de plein exercice de son développement dans le contexte de la mondialisation. Pour nos économies, cette révolution, à la condition d’en clarifier les règles du jeu, peut être également un facteur de progrès majeur. La connaissance, via la recherche, mais aussi les échanges, occupe désormais une place centrale. Elle conditionne le succès ou le déclin des Nations. Et pour la France, terre d’ingénieurs et de grandes découvertes, c’est une bonne nouvelle !
Enfin, et ce n’est pas des moindres, l’environnement. Là aussi, le changement de paradigme est en cours. Nous avons toujours le pire : des mégalopoles asphyxiées, des terres arables rongées par l’avancée du désert, des conflits pour accéder à l’eau, la disparition d’espèces vitales à nos écosystèmes, la déforestation massive…Mais nous avons aussi désormais le meilleur : une prise de conscience collective et un foisonnement d’initiatives, qui nous invitent à revisiter nos modes de vie. Cette prise de conscience s’est traduite par deux résultats auxquels on ne croyait plus : un accord historique entre les deux principaux pollueurs de la planète, la Chine et les États-Unis, pour limiter leurs émissions de carbone ; la relance lors de la COP 21 à Paris d’un processus qui vise à enrayer les tendances actuelles en fixant un seuil de réchauffement à ne pas dépasser. Un fait pour illustrer le caractère réversible du chaos des hommes : la mer d’Aral, illustration absolue du désastre écologique, contre toute attente, après avoir perdu 75% de sa surface, est de nouveau en train de se reconstituer. Grâce à la volonté des hommes.