« Notre homme à Washington » – 4 questions à Régis Genté

Journaliste et auteur spécialiste de l’ancien espace soviétique, Régis Genté répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage Notre homme à Washington, aux éditions Grasset.

 

Les contacts entre Trump et Moscou auraient commencé à l’époque soviétique ?

 

Oui, c’est une longue histoire. Plus de quarante ans. C’est pour cela que j’ai écrit ce livre, pour redonner toute son épaisseur à cette histoire, pour raconter comment se forge une relation de cette nature, entre grand espionnage, grande politique et géopolitique. Le renseignement américain est certain que Trump est approché au tout début des années 1980. Probablement en 1980 lorsqu’il fait un curieux prêt pour l’achat des téléviseurs pour son premier grand hôtel, le Commodore, à Manhattan à New-York, auprès d’un magasin tenu par un exilé soviétique, d’Odessa, installé à Brighton Beach, Sam Kisline. Les officiers du renseignement américain mais aussi un ancien espion du KGB comme Youri Chvets sont convaincus que c’est là qu’il a été approché, qu’il est entré véritablement dans le radar du KGB. Même s’il était déjà, dans le radar du KGB, dès 1977 lorsqu’il a épousé Ivana, une citoyenne de la république socialiste de Tchécoslovaquie. La StB, la sécurité d’Etat tchécoslovaque, quasi filiale du KGB, suivait la famille de cet homme d’affaires déjà remuant. Tout ce premier travail d’approche va se concrétiser lors du premier voyage de M. Trump à Moscou en juillet 1987, dont le montage est « une pure opération du KGB » comme me l’a par exemple expliqué un ancien officier de la NSA (National Security Agency), menée par la fille de l’ambassadeur soviétique aux États-Unis de l’époque et impliquant par exemple le GoscomIntourist, l’agence touristique soviétique qui était alors un nid d’espions comme chacun sait. Dans le livre, je tente de montrer, documents internes du KGB de cette époque à l’appui, que les maîtres-espions soviétiques, notamment Vladimir Krioutchkov, étaient en train de redéfinir et d’intensifier leurs efforts de recrutement chez le « principal ennemi », ciblant notamment des gens du monde des affaires.

 

Après un premier voyage à Moscou en 1987, Donald Trump se serait signalé par des déclarations anti-atlantistes ?

 

Oui, cela c’est un fait on ne peut plus objectif. Il effectue son premier voyage à Moscou et Leningrad en juillet 1987, et en septembre il s’offre pour 94.801 dollars une page « opinion » dans le New York Times, le Washington Post et le Boston Globe pour publier une « lettre ouverte aux Américains » où il plaide pour que les États-Unis « cessent de payer pour les pays qui ont les moyens de se défendre eux-mêmes », à commencer par les membres de l’OTAN. Vous voyez, il n’a pas changé d’un iota depuis 1987, il dit toujours la même chose 37 ans plus tard, avec les mêmes mots. Peut-être que M. Poutine ne nous dit pas tout lorsqu’il prétend préférer M. Biden ou Mme Harris à Trump, parce qu’ils sont « plus prévisibles »… Du coup, dès 1987, des sources à Moscou et des gens dans les cercles politiques en cheville avec l’URSS à Washington laissent entendre que Donald Trump ferait un bon candidat à la présidence américain. Dès 1987…

 

Kompromat, liens financiers… Les soupçons sont nombreux, mais pas de smoking gun ?

 

En effet, mais en même temps en termes de Justice au sens large disons que l’on peut s’appuyer sur un faisceau de preuves, lorsque celui-ci est conséquent. Et là, il est particulièrement impressionnant. Je tente dans ce livre d’en donner une idée, même si je suis loin de tout avoir mentionné.  C’est capital de le faire, pour bien comprendre l’importance et la nature de la relation qui lie Trump aux Russes depuis quatre décennies, pour aussi être pleinement conscient des enjeux géopolitiques, sécuritaires, etc. Certains de ces éléments du faisceau de preuve sont pour le moins troublant. Prenons par exemple le rachat en 1998, année de la crise financière, de la villa de M. Trump à Palm Beach par le milliardaire russe, ayant ses entrées au Kremlin, Dmitri Rybolovlev. Il rachète la villa 95 millions de dollars alors que Donald Tromp l’avait lui payé 41 millions quatre ans plus tôt. Soir une plus-value de 54 millions de dollars alors qu’entre 2004 et 2008 le marché immobilier en Floride est resté assez stable et que le propriétaire n’y a pas fait de travaux conséquents. Petit détail supplémentaire : M. Rybolovlev n’en fera jamais rien et finira par détruire ladite villa… Mais les choses sont un peu plus complexe que simplement « je te donne de l’argent et tu es mon agent »…

 

Justement, l’accusation à l’encontre de Trump d’être un agent russe est-elle crédible ?

 

Selon les gens du renseignement américain à qui j’ai parlé, Donald Trump n’est pas en tant que tel un « agent », c’est-à-dire quelqu’un qui se sait comme tel et reçoit de l’argent pour apporter des informations sensibles, mais un « contact confidentiel ». Dans le vocabulaire du KGB, un « contact confidentiel » c’est quelqu’un qui n’est pas en tant que tel rémunéré pour son activité de renseignement ou son travail d’influence au service du KGB, mais quelqu’un que l’on « cultive », à qui l’on rend des services, que l’on aide, sans que ce quelqu’un sache précisément la nature de ce qu’il fait. Et c’est ainsi que l’on découvre comment pendant quarante ans, avec plus ou moins d’intensité selon les années, Trump a été cultivé, via par exemple la « mafia rouge », via les mafieux soviétiques exilés dans les années 1970 aux États-Unis, à Brighton Beach encore appelé Little Odessa notamment. A chaque fois qu’il approchait de la faillite, des mafieux rouges mettaient de l’argent dans ses projets immobiliers ou blanchissaient de l’argent dans ses casinos. Plus difficile à prouver, mais il y a aussi le rôle très trouble joué par la Deutsche Bank qui lui a prêté des centaines et des centaines de millions de dollars dans les années 1990-2000 malgré le « Donald risk », que tout le monde connaissait à New York. Dans mon chapitre trois, fort de ma modeste connaissance du monde russe et des cercles dirigeants russes, je m’attache à montrer la façon dont une banque d’État russe comme la VTB s’approche au plus près de Trump via la Deutsche Bank et a pu aider la Trump Organization dans des moments délicats pour elle.

Cet article est également disponible sur le site Médiapart et le site de l’IRIS.