Député honoraire de la Loire et expert en politique publique sportive, Régis Juanico répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage Bougeons ! Manifeste pour des modes de vies moins sédentaires avec Hakim Khellaf aux éditions de l’Aube/Fondation Jean-Jaurès
Vous évoquez une addiction à la chaise…
40% des adultes sont considérés comme sédentaires et passent plus de sept heures par jour en position assise ou allongée – hors temps de sommeil – avec des conséquences néfastes pour leur santé (mortalité générale, maladies chroniques et cardiovasculaires).
La sédentarité, c’est la nouvelle addiction à la chaise et aux écrans. En comptant le temps assis à l’école, la sédentarité représente : 55% de la journée des enfants à l’école primaire ; 75% de la journée des adolescents à 14-15 ans ; 8 heures par jour pour les étudiants.
Le taux de prévalence du surpoids et de l’obésité entre 2 et 7 ans représente 34% dont 18% pour l’obésité. En cas d’obésité infantile, le risque d’obésité à l’âge adulte varie entre 50 % et 70 % : cela veut dire qu’un enfant obèse à six ans a de très fortes probabilités de devoir se battre toute sa vie contre son surpoids, mais aussi de perdre plusieurs années d’espérance de vie en bonne santé.
La sédentarité excessive est à l’origine de 50 000 décès prématurés avec un coût estimé pour les finances publiques entre 1 et 2 milliards d’euros chaque année en France.
Comme le souligne le professeur François Carré dans sa préface, « Bougeons ! Manifeste pour des modes de vies moins sédentaires » n’est pas seulement une alerte de plus sur la « bombe à retardement sanitaire » que représentent l’excès de sédentarité et l’inactivité physique, mais cet ouvrage permet à nos concitoyens et aux pouvoirs publics de disposer d’un vade-mecum, d’une boîte à outils pour promouvoir des modes de vie plus actifs tout au long de la vie.
L’activité physique est selon vous un médicament…
La Haute Autorité de santé (HAS) a reconnu l’Activité Physique Adaptée (APA) comme l’une des thérapeutiques non médicamenteuses possibles dès 2011. La prescription d’une APA est une source d’économie – de l’ordre de 20 à 30% – pour les dépenses liées à la prise en charge des soins des Affections de Longue Durée (ALD), des maladies chroniques et des personnes en perte d’autonomie, soit 20 à 25 millions de personnes potentiellement concernées.
Il y a trois freins principaux au développement de la prescription d’APA :
– le manque de formation initiale et continue des médecins, professionnels de santé et du médico-social : il faut plus de prescripteurs !
– l’accessibilité et la méconnaissance par les praticiens de l’offre locale d’APA, d’où l’importance du rôle des Maisons Sport-Santé en tant que guichet unique pour l’information, l’orientation des patients et la coordination des acteurs dans les territoires
– l’absence de prise en charge financière de la consultation médicale préalable à la prescription et des séances d’APA qui expliquent la réticence des publics les plus vulnérables à s’engager dans un parcours de soins
C’est pourquoi, il est temps que l’Assurance-maladie s’engage dans la prise en charge financière de l’APA, en commençant par le remboursement de la consultation médicale spécifique de prescription et de prévoir une incitation financière pour les mutuelles qui participent au financement des séances d’APA.
Les départements qui ont des compétences sociales étendues (personnes âgées, handicap, perte d’autonomie…) pourraient aussi s’engager dans le financement de la prescription d’APA, en particulier dans les ESMS en consacrant un faible pourcentage de leurs budgets sociaux via les conférences des financeurs.
La place du sport à l’école est-elle satisfaisante ?
Sur le papier oui, dans la réalité non ! Avec trois heures par semaine, l’EPS représente en volume horaire théorique la troisième discipline à l’école après les mathématiques et le français.
Dans la pratique, comme nous l’avons souligné avec le député Pascal Deguilhem dans notre rapport au Premier ministre sur le sport et l’école en 2016, le temps moyen consacré à l’EPS est d’environ 1 h 50 et non de 3 heures. L’EPS n’a jamais été considéré comme une discipline fondamentale, mais comme une variable d’ajustement dans les emplois du temps, ce qui est une grave erreur.
L’EPS est absente des épreuves du diplôme national du brevet en 3e. Elle n’est guère mieux considérée au lycée avec deux heures par semaine dans les emplois du temps des élèves et l’un des plus faibles coefficients – 6 – au baccalauréat. Entre 2018 et 2023, le nombre de places au concours de professeur d’EPS a diminué de 20 %, passant de 800 à 650 postes, soit mille suppressions de postes pour un effectif de 33 000 enseignants EPS dans le public et le privé.
Lors de sa conférence de presse récente sur le choc des savoirs, le ministre de l’Éducation nationale, aujourd’hui Premier ministre Gabriel Attal n’a pas eu un mot pour l’EPS alors que l’activité physique est un facteur d’efficacité scolaire des élèves en ce qu’elle améliore concentration, capacités cognitives et motrices, ainsi que leur estime d’eux-mêmes.
Y a-t-il un problème en France entre les élites et l’activité physique ?
Pas spécifiquement entre les élites et l’activité physique, mais entre les administrations d’un certain nombre de ministères clés comme l’Éducation nationale et la Santé, oui cela ne fait pas de doutes.
Les injonctions et exhortations sanitaires à l’instar du fameux slogan « Manger-bouger » sont bien souvent inefficaces et peuvent même être contre-productives. Un élément clé est de trouver une activité pour laquelle on a du plaisir. Pour cela, nous devons passer d’une logique de « sport santé » parfois dissuasive au « sport plaisir » qui passe par la littératie physique.
La littératie physique, concept très répandu au Canada, c’est la « motivation, la confiance, la compétence physique, le savoir et la compréhension qu’une personne possède et qui lui permettent de valoriser et de prendre en charge son engagement envers l’activité physique comme facteur de santé et d’épanouissement tout au long de sa vie ».
Cette stratégie nationale de lutte contre la sédentarité passe, dès les premiers jours de la vie, par un plan ambitieux de développement des activités physiques : à l’école, avec au moins une heure d’activité physique quotidienne, le renforcement des horaires d’enseignement de l’éducation physique et sportive (EPS) et la généralisation des tests de condition physique, puis dans l’enseignement supérieur, en développant des « campus actifs promoteur de santé », dans la vie active pour améliorer la qualité de vie au travail et prévenir l’usure professionnelle, dans les établissements sociaux et médico-sociaux, notamment les Ehpad, en outil de prévention des risques liés à la perte d’autonomie et en direction des 12 millions de personnes en situation de handicap.
Lutter contre la sédentarité, c’est aussi penser nos espaces autrement, par la promotion de nouvelles formes de mobilité au cœur de nos territoires, le développement des mobilités actives (marche, vélo…), de dispositifs innovants de design actif, d’aménagement des espaces publics : sentiers pédestres, pistes cyclables sécurisées, parcs et aires de jeux, mais aussi cours de récréation, bâti scolaire (il faut bouger en classe !) et les derniers cinq cents mètres aux abords des écoles pour favoriser l’activité physique des Français à proximité de chez eux.
Cet article est également disponible sur le site de l’IRIS et ma page MediapartLeClub.