Anne Toulouse est une journaliste franco-américaine. Elle est l’auteur de deux livres sur Donald Trump, dont elle analyse les propos depuis 8 ans, et d’un essai sur le wokisme. Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage L’art de « trumper » : ou comment la politique de Donald Trump a contaminé le monde aux éditions du Rocher.
Comment expliquer que dans un pays où le mensonge était vu comme le péché absolu, Trump a pu se faire élire et pourrait être à nouveau élu président ?
Le mensonge est un péché capital aux États-Unis lorsqu’il est fait sous serment ou sur un document officiel, comme une déclaration d’impôt. Parmi tous les mensonges de Donald Trump, celui qui peut vraiment lui coûter cher est d’avoir fait une fausse évaluation de ses biens dans des déclarations financières. Dans la vie courante, les Américains ne sont ni plus ni moins menteurs que les autres et ne se font guère d’illusion sur les rapports de leurs élus avec la vérité. Comme je le raconte dans « L’Art de trumper », le Washington Post a créé une rubrique qui répertorie les mensonges politiques, elle décerne à ceux qui les pratiquent des « Pinocchio » par référence au personnage dont le nez s’allonge à chaque entorse à la vérité. Il y a une division d’élite, « les Pinocchio sans fin », qui récompense « ceux qui ont proféré si souvent des affirmations fausses ou trompeuses que cela s’apparente à de la propagande ». Le premier détenteur de cette distinction a été Donald Trump, le second…Joe Biden. Trump a théorisé ses rapports avec la réalité dans une expression « l’hyperbole véridique » qui consiste à accommoder les faits à son avantage. À la différence des autres politiciens, il ne se cache pas de mentir, et a même déclaré : « j’essaie de dire la vérité…quand je peux ». On peut dire qu’il a banalisé le mensonge politique aux États-Unis comme ailleurs et largement contribué à l’obsession des « fake news ».
La violence verbale, et même les insultes, sont pour lui un mode normal d’expression, et là encore sans que cela ne le disqualifie en rien…
Cela le disqualifie auprès d’une bonne partie du pays. Les autres se divisent en deux parties, ceux qui sont fascinés par son côté iconoclaste et ceux qui ferment les yeux sur ses outrances dans un phénomène que j’ai appelé « le vote à l’envers », qui consiste à adhérer à une personne dont on réprouve la conduite parce que l’on réprouve encore plus le programme de son adversaire. Donald Trump s’est présenté habilement comme le pourfendeur des élites, ce qui le dispense d’adopter les conventions de la politique traditionnelle. Qu’il en soit l’effet ou la cause, il a coïncidé avec une époque où la violence verbale est montée dans le monde politique, et pas seulement aux États-Unis. J’en cite quelques fameux exemples en France.
Trump a-t-il créé une marque plus qu’il a développé une politique ?
Certainement, il l’a dit lui-même : créer une image de marque est plus important que de créer un business. Je ne pense pas qu’il ait d’autres pensées politiques que celle de saisir l’air du temps et de se maintenir sur le devant de la scène. Ce que j’essaie de montrer dans « L’Art de trumper », c’est la façon dont il a influencé consciemment ou non la manière de faire de la politique non seulement dans son parti et son opposition, mais dans le reste du monde. Il y a ceux que j’appelle les clones, comme l’ex-président brésilien Jair Bolsonaro, qui l’a imité de A jusqu’à Z, Boris Johnson, l’ex-Premier ministre britannique, qui a copié sa campagne, l’extrême droite française, qui s’est reconnue dans sa victoire en 2016… Mais le plus frappant est de voir les convergences dans le langage avec l’extrême gauche française. J’ai mis côte à côte des phrases de Donald Trump et de Jean Luc Mélenchon, la similitude de la terminologie est surprenante, et on trouve même des concordances dans le message lorsqu’il s’agit de leur hostilité commune aux élites et aux médias. D’une façon générale, Trump a poussé un peu plus loin la « politique du show », qui consiste à se mettre en scène en permanence, aussi bien dans les médias que sur les réseaux sociaux. Son usage sans modération de l’actuel X (du temps où il s’appelait Twitter), a incité le reste des dirigeants à communiquer sur ce vecteur comme le commun des mortels, ce qui a contribué à vulgariser leur fonction. Certains ont poussé le système à l’extrême, comme le président vénézuélien qui a fait mettre sur pied des « troupes électroniques » dont les participants sont payés pour répercuter par centaines des messages vantant les bienfaits de son régime.
Le trumpisme pourra-t-il survivre à Trump ?
Le personnage est inimitable. Quoique l’on pense de Trump, il exerce une sorte de fascination. Il l’a dit lui-même : « Trump est un spectacle et il se joue à guichets fermés tous les soirs ». Chaque fois que j’écris à son propos, je découvre un trésor d’anecdotes où la réalité dépasse la fiction. Dans la mesure où son idéologie tourne autour de sa personne, je ne pense pas que l’on puisse faire du trumpisme sans Trump. Une fois que l’artiste aura quitté la scène, son image s’effacera sans doute à l’extérieur des États-Unis, même s’il en restera quelques traces dans les mœurs politiques qui se seraient peut-être détériorées sans lui. En revanche dans son pays, il laissera plus que des traces mais une cicatrice, car il a été au centre d’un attaque contre les institutions. En contestant le résultat d’une élection présidentielle, il a ouvert une boîte de pandore et l’on risque d’en voir des conséquences durables sur la confiance des Américains dans leur système électoral et en ceux qui en résultent.
Cet entretien est également disponible sur MediapartLeClub et sur le site de l’IRIS.