Auteur et historien, Gaël Nofri répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Napoléon III » aux éditions Alpha histoire.
Vous avez écrit cette biographie avec la volonté de restaurer l’image de Napoléon III. Est-elle si mauvaise en France ?
Incontestablement elle s’est améliorée, mais elle reste otage d’une vision très marquée par la IIIe République. Dans mon esprit, outre de restaurer l’image de Napoléon III, il s’agissait plus encore de présenter les idées politiques qui ont sous-tendu l’ensemble de ses actions : celles d’un équilibre entre ordre et prospérité, celles aussi d’un volontarisme en matière politique qui seul peut amener à faire bouger les lignes face à la tentation de l’immobilisme, à bâtir de grandes choses au-delà de l’incantatoire, à rassembler par-delà des clivages stériles.
C’est un message qui n’a pas pris une ride et le combat auquel se trouve tôt ou tard confronté tout dirigeant politique.
Est-ce la défaite de Sedan qui occupe tout l’espace mémoriel en France lorsque l’on parle de Napoléon III ?
Vous avez en partie raison car la défaite de Sedan, et son corolaire durable qui est la volonté de revanche sur l’Allemagne, ont forgé l’esprit de la IIIe République, marqué des générations de jeunes Français éduqués dans le culte des territoires perdus et déterminé une part de ce qui fut notre XXe siècle.
J’ajouterais à la défaite militaire un élément politique de taille : le fait que les principaux dirigeants de la IIIe République aient été des opposants à Napoléon III désabusés par le résultat du plébiscite de 1870. Ils avaient bâti tous leurs discours, fait toute leur carrière contre l’Empire, mais avaient été défaits par le suffrage universel quelques semaines seulement avant de se trouver placé à la tête des affaires par un concours de circonstances… la diabolisation du Second Empire et de son chef était aussi nécessaire pour eux qu’inévitable pour lui.
Enfin évidemment, l’une des explications de la légende noire de Napoléon III réside dans le talent de Victor Hugo. La force de l’écriture de ce géant de la littérature, devenu indétachable de son image d’exilé sur son rocher de Guernesey, appartient à notre Panthéon national. Qu’importe la réalité des faits, face au talent le réel ne peut pas grand-chose. L’Histoire commence avec l’invention de l’écriture, il n’est donc pas tout à fait étonnant qu’elle appartienne sans doute plus à celui qui l’écrit qu’à celui qui la fait…
Son slogan était « l’Empire c’est la paix ». Il a pourtant plusieurs fois fait la guerre avec de piètres résultats, de l’Italie au Mexique…
« L’Empire c’est la paix » est une promesse du futur Napoléon III destinée à rassurer l’Europe face à ceux qui pourraient s’inquiéter d’un retour des velléités napoléoniennes du neveu de l’Empereur. Elle sera une réalité durant les premières années de son règne, mais là encore, dissipons un malentendu sur ce que signifie la paix et par là même sur la vision géopolitique de Napoléon III.
« L’Empire c’est la paix » n’est pas une forme de pacifisme béat, mais une volonté de faire avancer la France dans le concert des Nations par d’autres moyens que la conquête. Pourtant, sa volonté de remettre en cause l’ordre né du traité de 1815, dans lequel il voit une humiliation de la France, est intacte. Mais il préfère résoudre les conflits par la voie des congrès, de la diplomatie et des médiations.
Il est notamment persuadé que la stabilité viendra de la libération des nationalités occupées par les puissances qui se sont imposées dans l’ordre de 1815. À ce sujet, vous parlez de piètres résultats dans la guerre en Italie, pourtant celle-ci se termine plutôt favorablement pour la France. Je dirais même un peu plus qu’il ne l’aurait sans doute souhaité : s’il était désireux de voir éclore une Italie libérée, la question de son unité demeurait sujette à caution.
La guerre au Mexique est une tout autre question. Napoléon III s’est, sans doute, laissé influencer par des intérêts financiers, mais plus encore par des immigrés mexicains qui lui vendaient un Mexique imaginaire. Il faut toujours se méfier du prisme déformant des expatriés qui gardent le souvenir, enjolivé et lointain, d’un pays parfois sensiblement différent et transformé de celui qui existe réellement. Au-delà, je crois vraiment que le Mexique est tout sauf une aventure inconsidérée même si je concède bien volontiers que son échec final le condamne sans appel. Pourtant, à y regarder de près, il y a du sens dans cette expédition : c’est la seule véritable tentative de s’opposer à la doctrine Monroe, formulée depuis 1823, en s’appuyant sur la division des États-Unis prisonniers de la guerre de Sécession. Il y a dans les propos de Napoléon III un côté visionnaire quant à l’essor prévisible des États-Unis – pays qu’il est un des très rares dirigeants européens à connaître et à avoir visité -, une alerte qui n’est pas inutile quant au risque d’hégémonie d’une puissance Anglo-saxonne sur le continent américain et à son caractère menaçant pour les pays de tradition latine. On ne fait pas d’Histoire fiction, mais si…
À ce stade, c’est-à-dire à l’été 1870, « l’Empire c’est la paix » est une promesse tenue pendant vingt-deux ans pour le territoire national qui n’a pas connu d’invasion ou de guerre sur son sol depuis l’accession de Louis-Napoléon, devenu Napoléon III, à la tête de l’État. Puis survinrent la guerre Franco-Prusse et la défaite de Sedan. Le véritable échec est là et nulle part ailleurs.
Puisqu’un chef est toujours responsable du résultat, surtout chez les bonapartistes, il n’est pas besoin de chercher à atténuer les responsabilités de Napoléon III ou à la faire partager avec d’autres qui y auraient leur part. Mais là encore, dans ce cas, il convient de ne pas se laisser entrainer par une réponse un peu trop facile et une lecture partiale et partielle des évènements. Quitte à être iconoclaste, je considère que ce n’est pas du tout la dimension belliqueuse de Napoléon III qui est à l’origine de cet échec, mais bien ses tergiversations quant à la nécessité de rentrer dans un conflit, la volonté de chercher une solution diplomatique, le refus de la guerre. Que serait-il arrivé notamment si la France était entrée en guerre au lendemain de Sadowa ? Si elle n’avait pas laissé le temps à la Prusse de faire l’unité allemande contre l’Autriche et à son seul profit ?
Personne ne peut le savoir évidemment et la question n’a historiquement aucun intérêt : Napoléon III n’a pas fait ce choix, il en a fait d’autres, et l’enchainement des choix et des non-choix a mené à Sedan. En revanche, politiquement, elle interroge utilement. Elle est d’ailleurs une question que beaucoup de dirigeants doivent avoir constamment à l’esprit : quel est le temps de la diplomatie et celui des armes ; ceux qui gagnent la guerre sont-ils des bellicistes entrés précipitamment dans le conflit ou des dirigeants prudents ayant agi avant qu’il ne soit trop tard ?
Cet entretien est également disponible sur MediapartLeClub et sur le site de l’IRIS.