Guerre en Ukraine : défend-on nos valeurs ou nos intérêts ?

Le 17 mai, le jour de l’ouverture officielle du Festival de Cannes, le président Zelensky s’est adressé à la fine fleur du monde du cinéma qui était réunie pour l’occasion. Il s’était auparavant adressé, toujours en visioconférence, à la plupart des parlements du monde occidental, interventions lors desquelles il a systématiquement reçu un accueil très chaleureux. Tous les présidents des pays en guerre ou tous les leaders de peuples qui subissent une guerre n’ont pas l’honneur de pouvoir s’adresser à la fine fleur du monde international de la culture ou aux parlements des pays occidentaux. Il y a donc une différence de préoccupations. En effet, dans le cas d’autres conflits dans le monde, le monde occidental ne fait pas preuve d’autant d’égards auprès de celui qui incarne le peuple martyrisé. Bien sûr, il y a dans cette guerre en Ukraine un enjeu de défense de valeurs et du droit international face à l’agression d’un pays pacifique et face aux crimes de guerre commis par la Russie. Cela ne suffit pas pour autant à expliquer cet accueil, cette solidarité et cette émotion qui règnent pour à l’Ukraine alors que dans le cas d’autres conflits, dans lesquels les violations du droit international et des droits de l’homme sont tout aussi graves. Le peuple syrien martyr, les Yéménites, les Sud-Soudanais n’ont pas bénéficié de la même attention, de la même compassion et de la même solidarité que le peuple ukrainien. Les valeurs défendues par les Occidentaux dans leur soutien à l’Ukraine n’en sont donc pas l’unique moteur. Les Occidentaux doivent avoir la franchise et la lucidité d’admettre que s’ils réagissent avec autant de force, c’est parce que leurs intérêts sont en jeu. Pourquoi les Occidentaux réagissent-ils avec une telle émotion et une telle force par rapport à l’Ukraine et avec une relative indifférence et une telle faiblesse lorsqu’il s’agit de la Syrie, du Yémen, du Soudan du Sud ou de bien d’autres conflits ? C’est d’abord parce que cette guerre a lieu sur le continent européen et fait craindre une extension du conflit vers l’Ouest. Dans le cas d’un conflit plus lointain, la sensibilité des Européens s’amenuise. C’est le fameux slogan, régulièrement entendu ces dernières semaines : « Une guerre civile est inadmissible à deux heures de Paris ». L’est-elle à quatre ou huit heures d’avion ? Non. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’avoir la franchise de parler d’intérêt et non pas seulement de valeurs. Cela rendrait la mobilisation des Occidentaux auprès de l’Ukraine plus légitime, moins hypocrite et plus facilement explicable aux autres pays qui comparent acerbement l’accueil réservé aux réfugiés ukrainiens et celui réservé aux réfugiés en provenance du Proche-Orient ou d’Afrique, fuyant par ailleurs des conflits dans lesquels l’Occident porte d’ailleurs sa part de responsabilité.

Bien sûr les valeurs dites universelles – droits de l’homme, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, souveraineté des États – sont bafouées, mais ce n’est pas pour cela que l’occident réagit aussi vivement. Il est temps de cesser les justifications hypocrites qui ne sont pas toujours admises ou comprises par le monde non occidental. Il faut avoir la lucidité de réaliser qu’elles ne sont pas toujours perçues de façon empathique ailleurs dans le monde. En effet, les guerres que l’Occident a menées au titre de la défense de valeurs et dans l’objectif d’exporter la démocratie n’ont pas été des réussites éclatantes, c’est le moins que l’on puisse dire. Et elles ont laissé des traces. Les guerres ne sont jamais faites pour des valeurs, elles impliquent systématiquement des intérêts. Affirmer l’inverse entache la crédibilité, déjà entamée, des Occidentaux.

Dans cette guerre, la communication joue un rôle majeur du fait notamment du manichéisme de la situation : le bourreau par excellence incarné par Poutine, qui remplit parfaitement son rôle et semble y prendre un plaisir non dissimulé fait face au héros positif Zelensky, victime absolue qui suscite adhésion et compassion. Dans le récit qui est fait de cette guerre, il y a le bien d’un côté le bien et le mal de l’autre. Cependant, cette présentation du bien absolu et du mal absolu n’imprime pas au-delà du monde occidental et il important d’en être conscient. Ce jeu de communication crée une forte émotion qui peut devenir un piège émotionnel et empêcher de raisonner sur le conflit.  Nous sortirons de ce conflit tout à fait inadmissible uniquement de façon rationnelle. Il faut pour cela éviter que l’émotion l’emporte. L’émotion est nécessaire pour la solidarité avec les réfugiés et les civils qui subissent les conséquences du conflit. Elle n’est pas nécessaire, voire peut entraver le raisonnement nécessaire permettre de trouver des solutions politiques et une sortie du conflit.

 

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