Les décisions de plusieurs instances sportives internationales à l’égard des athlètes russes et biélorusses sont vraiment radicales: l’exclusion des équipes collectives nationales russes, notamment de la Coupe du monde de football, la délocalisation de la finale de la compétition pour qu’elle ait lieu à Paris et non à Saint-Pétersbourg, l’annulation du Grand Prix de Formule 1…
Trois types de mesures s’appliquent. Tout d’abord, les équipes nationales sont exclues des compétitions, puisqu’elles représentent effectivement un pays, l’hymne national est joué avant la compétition… La logique des sanctions veut également que des compétitions sportives ne soient pas organisées par des fédérations internationales sur le territoire de la Russie. La troisième mesure vise les athlètes à titre individuel, et nous avons constaté deux types d’approches: la décision des organisateurs du tournoi de tennis de Wimbledon d’exclure les athlètes russes et biélorusses, alors qu’ils peuvent jouer à Roland Garros sous bannière neutre, comme ce fut le cas pour les Jeux olympiques d’hiver. Le gouvernement de Boris Johnson avait déclaré que les athlètes russes devaient attester d’un document dans lequel ils condamnaient la politique de Vladimir Poutine pour pouvoir entrer sur le territoire britannique, ce qui est évidemment très difficile pour ceux qui ont encore de la famille en Russie.
L’approche adoptée par les organisateurs de Roland-Garros va, à l’inverse, à l’encontre d’une punition collective : on ne peut pas préjuger que tous les sportifs russes ou biélorusses sont nécessairement des soutiens du régime. Cette décision me paraît juste et plus cohérente, d’autant plus que dire l’inverse serait donner victoire à Poutine, en quelque sorte, en sous-entendant que tous les Russes le soutiennent – ce qui n’est évidemment pas le cas.
On peut se réjouir qu’un pays qui fait la guerre soit sanctionné, mais en même temps, on voit bien que les sanctions n’ont été que le fait des Occidentaux, que le monde sportif suit largement les instructions occidentales. Les États-Unis n’ont par exemple pas été exclus des compétitions sportives après la guerre d’Irak, et on a même attribué à Londres les Jeux olympiques, deux ans après cette guerre à laquelle l’Angleterre avait participé. C’était très symbolique de voir qu’à l’époque, Paris, la capitale d’un pays qui refusait de s’engager dans ce conflit, avait perdu l’attribution des Jeux de 2012 au profit de Londres, capitale d’un pays engagé dans ce conflit.
Aujourd’hui, lorsque l’on regarde la carte des pays qui ont sanctionné la Russie, il n’y a que les pays occidentaux et leurs alliés (le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande … ). En revanche, aucun pays latino-américain, aucun pays africain, aucun autre pays asiatique n’a pris des sanctions à l’égard de la Russie. Pourquoi ne pas prendre des sanctions contre Israël et sa politique à l’égard de la Palestine? Ou contre l’Arabie saoudite qui mène une guerre depuis des années contre le Yémen? La question des sanctions contre la Russie, dans le domaine du sport, donne la satisfaction de voir la guerre punie, mais soulève le problème de l’asymétrie de la diplomatie sportive internationale.
Face à ces sanctions, Poutine essaye de créer des championnats du monde qui réunirait des pays amis qui ne boycottent pas la Russie, comme ce fut le cas après les Jeux paralympiques d’hiver de Pékin. Toutefois, cela n’a pas le même écho, ce sont des compétitions de rattrapage. En faisant cela, Poutine veut montrer que la Russie n’est pas tout à fait isolée – ce qui est contredit par le nombre de participants, puisque seulement une delni-douzaine de pays y participait. Ces décisions des instances sportives internationales nuisent également au régime de Poutine, qui avait beaucoup compté sur le sport pour redorer le prestige de la Russie et pour un problème de santé publique. En effet, l’espérance de vie y est relativement faible et le pays est fortement touché par l’alcoolisme. Or, depuis l’accession de Vladimir Poutine au pouvoir, la part de la population pratiquant un sport est passée de 20 à 40 %. Il avait subi un premier revers pour avoir organisé un dopage d’État pour les Jeux olympiques de 2014, et les sanctions depuis le début de la guerre en Ukraine représentent un deuxième revers, puisque la Russie est exclue des grandes compétitions sportives mondialisées.
De manière plus générale, le sport a toujours été politique : exclus des Jeux olympiques après la Prelnière Guerre mondiale, les pays vaincus des deux guerres mondiales ont été exclus des Jeux olympiques qui ont suivi, et plus tard, les Jeux ont également permis aux pays décolonisés de s’affirmer sur le plan national. La politisation des athlètes n’est pas non plus un phénomène récent; on a considéré, pendant très longtemps, qu’ils n’avaient pas à s’exprimer, même si cela tend de plus en plus à changer.
Propos recueillis par Emma Flacard pour Le 1 Hebdo.