Ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin est désormais le président de la Fondation pour la prospective et l’innovation (FPI). Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Choisir un chef – Les secrets du leadership à travers l’histoire » chez Michel Lafon.
Vous distinguez une approche européenne, américaine, chinoise et africaine du leadership…
Ce livre est né d’un cours créé il y a une quinzaine d’années à l’ESCP Business School puis développé sur quatre continents à Québec, Abidjan, Shanghai et Paris. Le leadership est une question culturelle. Chaque continent développe des approches spécifiques.
Aux États-Unis, tout s’apprend. Chacun peut devenir leader s’il décide d’apprendre la prise de parole en public, de se familiariser avec l’animation d’une réunion, ou par exemple d’améliorer sa pratique de l’humour. Tous les jours, dans les journaux on trouve des publicités pour des séminaires de leadership.
En Europe, on attache davantage d’importance à l’inné qu’à l’acquis. Le leadership est principalement fondé sur les talents, le caractère et le charisme. De Gaulle disait « au chef comme à l’artiste il faut le don façonné par le métier ».
La pensée de la Chine traditionnelle est bien différente, pour Han Fei Zi le « chef n’agit pas ». Le bon général chinois est celui qui gagne la guerre sans avoir à la livrer. Tout est dans « le potentiel de situation » c’est-à-dire le rapport de forces.
En Afrique, le Chef est un libérateur qui doit être à la hauteur du pronostic africain, la grande puissance émergente.
Le leadership est une question clé de ce XXIe siècle :
– sur le plan des relations internationales, le fait dominant est « la course au leadership » entre les USA et la Chine.
– face aux risques de déconstruction, l’Europe est à la recherche de son leadership. Le couple franco-allemand reste le mieux placé pour assumer, à partir du printemps prochain, la souveraineté de l’Europe face aux deux grands.
– en France on s’interroge pour savoir si le leadership d’Emmanuel Macron sera suffisant pour lui permettre de se maintenir aux responsabilités au printemps prochain.
– sur le plan personnel, les citoyens sont de plus en plus exposés à la montée de l’individualisme et donc aux nécessités du développement personnel, et notamment du leadership.
A tous les niveaux, une réflexion sur le leadership s’impose.
Pour vous, être un vrai leader, ce n’est pas seulement représenter, mais aussi entrer dans le cœur des citoyens…
Les qualités du Leader sont connues : la vision, l’incarnation du projet, l’attention aux autres, la cohérence notamment entre la destination et le chemin, la détermination… Je les développe dans mon livre, mais pour moi l’essentiel est la légitimité sans laquelle il n’y a pas d’autorité. Or la légitimité fait autant appel au cœur qu’à la raison. Quand un chef respecté est aimé, il peut « soulever des montagnes ». Un vrai leader fait grandir ses équipes. Le leader moderne doit trouver son équation personnelle d’équilibre entre distance et proximité avec ses équipes.
La distance protège, la proximité stimule. Je suis convaincu que ces réflexions, avec d’autres, seront utiles pour nourrir une pédagogie du leadership pour tous les établissements qui forment les cadres de la nation. Cette pédagogie devra valoriser les qualités du leadership, mais elle devra aussi prévenir ses dérives, telles que l’exercice solitaire du pouvoir, la surexposition médiatique ou le manichéisme…De ce point de vue « Choisir un chef » est un manuel du leadership.
Vous distinguez un leadership qui a émergé, qui devient structurel, celui des femmes…
Plusieurs livres sont parus récemment sur le leadership féminin, notamment, « Women and Leadership » signé par un prestigieux collectif dont Julia Gillard, Ngozi Okonjo-Iweala et Christine Lagarde… Elles décrivent le parcours de femmes au pouvoir en Australie, en Nouvelle-Zélande, au FMI où a l’OMC…
Il apparaît ainsi clairement que le leadership féminin met en avant la sobriété des attitudes, l’attention au réel, le goût des résultats… Je trouve que des personnalités telles qu’Angela Merkel ou Christine Lagarde illustrent bien ce leadership émergeant. Cela n’empêche pas que certaines femmes puissent exercer un leadership plutôt masculin ou réciproquement. Dans les entreprises, on mesure souvent que les femmes aux responsabilités font avancer le social plus vite que le politique. Ce leadership des femmes me conduit à penser qu’au-delà du légitime concept de parité, on peut ajouter celui d’alternance dans les grandes structures internationales afin d’ouvrir davantage les systèmes. Ainsi, pour moi, il serait judicieux, par exemple, d’annoncer que dans quatre ans le prochain Secrétaire général de l’ONU sera une femme. On lit souvent que le XXIe siècle sera féminin, je pense que cela annonce un boom du leadership féminin.
Attaché à la décentralisation pour ce qui est de la politique nationale, vous la préconisez également pour les relations internationales…
La décentralisation est souvent associée en effet au leadership vertueux, puisqu’il s’agit principalement de diffuser de la confiance dans l’ensemble de l’organisation. La décentralisation permet aussi souvent de débloquer des situations qui paralysent toute la structure. Par exemple, aux Nations-Unies, l’incapacité de réformer le Conseil de sécurité bloque les progrès de l’organisation. La France par exemple ne se montre pas prête à abandonner son siège de membre permanent du conseil. Elle reconnaît que plusieurs autres pays mériteraient une place, mais elle n’envisage pas de céder la sienne. Je la comprends ! Peut-être qu’une approche de décentralisation permettrait des avancées. En effet, en proposant que deux membres puissent être désignés par continent, peut être qu’une décentralisation du multilatéralisme nous permettrait de sortir de l’impasse actuelle. L’Afrique, avec l’Union africaine d’une part et avec les organisations régionales d’autre part, montre un chemin efficace de multilatéralisme. La décentralisation permettrait aussi de mieux associer les sociétés civiles aux décisions multilatérales. Cette ouverture de la diplomatie aux représentants de la société civile est une nécessité pour éviter une grave crise de la légitimité politique qui menace partout aujourd’hui. Le leadership, car il concerne autant le monde entrepreneurial que la vie associative et autant la politique que la vie sociale, est un sujet porteur pour penser une véritable pédagogie de la Paix. Dans le projet d’École itinérante de la Paix lancé par l’ONG « Leaders pour la Paix », le leadership est un module essentiel de cette pédagogie.
Cet entretien est également disponible sur Mediapart Le Club.