Le président Bouteflika a déposé (ou en réalité a fait déposer, car il était soigné au même moment à Genève) sa candidature pour un 5ème mandat à la présidence de la République Algérienne, malgré le fait que depuis une semaine, l’Algérie connaissait un profond bouleversement.
Des milliers de personnes étaient sortis dans la rue, sans crainte, pour exprimer leur opposition à la candidature de Bouteflika, et qu’un pays extrêmement jeune – où la moitié de la population a moins de 30 ans – ne pouvait pas être représenté par un dirigeant de 81 ans, qui n’est plus en état de se déplacer et qui ne s’est pas exprimé devant la nation depuis 2013.
Pour tenir compte de cette opposition massive, Bouteflika et son entourage ont annoncé qu’une fois élu, il ne terminera pas son mandat et organisera des élections présidentielles anticipées. Il n’est pas certain, loin de là, que cette mesure suffise à faire rentrer le fleuve de la colère de la jeunesse algérienne dans son lit.
Bouteflika a eu un rôle historique majeur. On se rappelle les heures de gloire de la diplomatie algérienne dans les années 1970, lorsqu’on parlait de nouvel ordre économique international et que l’Algérie était un pays phare dans la diplomatie internationale, champion des droits de ce qu’on appelait à l’époque le tiers-monde. Bouteflika aussi a eu un rôle très important après sa première élection en 1999, pour réconcilier un pays profondément déchiré et qui avait payé le lourd prix du sang dans une guerre civile sanglante, cruelle et meurtrière. Mais aujourd’hui, si Bouteflika veut rendre service à son pays, c’est en se retirant de la vie politique, en ne donnant pas le sentiment que d’autres – qui par ailleurs représentent des intérêts privés – parlent à sa place.
Ce qu’on appelait le printemps arabe s’est exprimé de façon extrêmement différente dans les trois pays francophones du Maghreb, ce qui montre au passage qu’à l’heure de la globalisation, l’État reste l’échelon majeur de la vie internationale. En Tunisie, une véritable révolution a eu lieu, et ce mouvement initié en 2011 s’est maintenu et est allé jusqu’au bout, sans être rattrapé ni par la guerre civile ni par de sanglantes contre-révolutions. Au Maroc, l’ouverture contrôlée s’est poursuivie avec un pouvoir dont la légitimité monarchique et religieuse le rendait moins contesté que dans d’autres pays. En Algérie, il ne s’était rien passé. Pourquoi ? Parce que la population ne voulait pas revenir aux horreurs de la guerre civile des années 90 dont elle a payé un prix beaucoup trop lourd. Pour la population, il était finalement préférable que rien ne se passe plutôt que de se jeter dans l’inconnu. Mais cette recherche de la stabilité a débouché sur un immobilisme en réalité source d’instabilité et la perspective de prolonger cet immobilisme – incarné physiquement par le chef de l’État -a été jugée insupportable par une bonne partie de la population.
L’Algérie pourrait de nouveau occuper un rôle leader dans le monde arabe, si la contestation populaire, ce mouvement qui émane de la société civile, réussit et parvient à changer la donne politique. Ce serait un exemple très fort qu’une jeunesse affirme haut et fort ne peut plus accepter d’avoir peur, ne plus accepter de se taire parce que le pouvoir en place agite le spectre du retour de la guerre civile si elle exprime sa soif de changement. On voit d’ailleurs, au moment où il est de bon ton de critiquer les réseaux sociaux, que ces derniers ont été déterminants pour la mobilisation de la société civile.
La vie politique doit redevenir « normale » en Algérie. Les jeunes doivent s’exprimer tout comme la population civile. L’Algérie est un pays pétri de talents, un pays pétri de richesses qui doit exercer normalement ses droits politiques et ainsi redevenir de nouveau une référence pour l’ensemble du monde arabe et les pays du Sud.
Alors que le printemps arabe a débouché – mise à part la Tunisie – sur le chaos, sur des guerres civiles ou sur des répressions abominables, peut-être qu’il y a un nouvel espace aujourd’hui et que l’Algérie est en train d’écrire, en pionnière, une nouvelle page de l’histoire comme elle a su le faire dans le passé. Ce serait un facteur d’espoir pour l’Algérie mais aussi pour l’ensemble du monde arabe, qui en manque cruellement.
Cet article est également disponible sur le site de l’Iris et sur Mediapart Le Club.