Guillaume Pitron est journaliste, lauréat de l’édition 2017 du Prix Erik Izraelewicz de l’enquête économique créé par le Monde. Il intervient régulièrement auprès du parlement français et de la Commission européenne sur le sujet des métaux rares. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique », aux éditions Les liens qui libèrent.
Pourquoi la transition énergétique fait-elle des métaux rares la clé de la richesse et de la puissance de demain ?
La transition énergétique est fortement consommatrice de métaux dits « rares » car présents dans l’écorce terrestre dans des proportions infinitésimales par rapport aux métaux dits « abondants », tels que le fer, le cuivre ou le zinc. Ces métaux rares – une trentaine – portent des noms étranges, tels que le samarium, le gadolinium ou encore le dysprosium. Certains nous sont plus proches, comme le tungstène et le cobalt. Ces métaux sont saupoudrés dans de nombreux objets du quotidien, tels les outils électroniques ainsi que les technologies phares de la transition écologique (éoliennes, panneaux photovoltaïques, moteurs électriques). Leur consommation est donc amenée à exploser. Ainsi le lithium, nécessaire aux batteries : en 2035, sa consommation aura été multipliée par 180 par rapport à celle de 2013.
L’extraction des métaux rares engendre de lourds coûts économiques et environnementaux, raison pour laquelle contrairement au pétrole, de nombreux pays détenant d’importantes réserves, tels que les États-Unis et l’Australie, n’ont pas toujours souhaité en poursuivre la production. En Chine, l’un des premiers producteurs de nombre de ces métaux, les bénéfices économiques de ce secteur économique sont encore débattus. L’État chinois a investi à perte pour soutenir la pérennité de l’exploitation. Quant aux coûts écologiques, ils sont proprement considérables.
En réalité, les pays producteurs sont plutôt motivés par les gains économiques qu’ils peuvent tirer de l’aval de la chaîne industrielle, c’est-à-dire les industries utilisatrices de ces métaux. En refusant d’exporter les ressources vers les pays clients et en tentant de développer, localement, une filière industrielle intégrée, la Chine, mais aussi l’Indonésie et l’Afrique du Sud, savent qu’elles tireront des bénéfices sans commune mesure par rapport aux pertes qu’elles auront subies en amont de leur processus industriel. En ce sens, la transition énergétique stimule une nouvelle ère d’extractivisme – de métaux rares cette fois – dans laquelle celui qui contrôle les minerais va, in fine, contrôler les industries du futur. C’est bien sûr une clé de la richesse et de la puissance de demain.
Selon vous, quel est le pays qui assiéra sa domination sur ce secteur ?
La Chine est aujourd’hui le premier producteur d’un nombre important de ces métaux. Pékin produit 84% du tungstène consommé dans le monde, 67% du germanium, 85% du gallium, 87% du magnésium et jusque 95% de certaines terres rares. Cette mainmise procède d’une stratégie agencée dès les années 1980, la Chine ayant inondé de reste du monde de métaux à bas prix afin de tuer toute concurrence. Et de fait, Pékin est désormais une sorte d’ « Arabie saoudite des métaux rares ».
Ce leadership est de moins en moins limité à l’amont industriel et tend à se déporter sur l’aval de la chaîne de valeur. Séduits – ou contraints – par la disponibilité des ressources en Chine, les industriels occidentaux ont accéléré ces dernières décennies les délocalisations de leurs outils de production. Souvent, ce fut l’occasion de transferts de technologies et de brevets, ce qui explique pourquoi la Chine a aujourd’hui accaparé l’ensemble de certaines filières utilisatrices de métaux rares dans les secteurs des nouvelles technologies de l’énergie et du numérique.
On le constate en particulier avec les voitures électriques. La Chine produit des terres rares et du graphite, composants essentiels des batteries. Elle produit peu de cobalt, produit à plus 60% par la République démocratique du Congo (RDC), mais qu’importe : en mars, Glencore, premier producteur mondial de cobalt, annonçait céder le tiers de sa production sur les trois années à venir au groupe chinois GEM, spécialisé dans le recyclage des batteries. De fait, 80% du cobalt produit en RDC est aujourd’hui exporté vers la Chine. Le PDG de Glencore, Ivan Glasenberg, a commenté un tel contrat d’approvisionnement et expliqué que si la Chine parvenait à s’approprier le cobalt, elle produirait demain les batteries, et, in fine, les voitures elles-mêmes.
Pourquoi qualifiez-vous la France de « géant minier en sommeil » ?
La France a déjà été une puissance minière. La première révolution industrielle y avait impulsé la production de divers minerais tels que le tungstène, le manganèse ou encore le zinc. L’activité extractive est restée importante jusqu’au début des années 1980, la France se plaçant même parmi les principaux producteurs mondiaux d’antimoine et de germanium.
Tel n’est plus le cas aujourd’hui. Pourtant l’Hexagone reste riche de son sous-sol, en particulier en Bretagne, dans le Massif central et dans les Pyrénées. Sans oublier son potentiel océanique : l’ensemble du territoire maritime français totalise plus de 11 millions de kilomètres carrés, soit le deuxième plus grand au monde après les États-Unis. Or certaines zones économiques exclusives, en Polynésie et à Wallis-et-Futuna notamment, concentrent d’importantes réserves qu’il serait tout à fait possible d’exploiter.
Vaccinés par les nombreux désastres occasionnés, en France, par ces activités extractives, nos compatriotes affichent très majoritairement leur opposition à de tels projets industriels. De nombreuses ONG écologistes se sont récemment mobilisées contre certaines annonces gouvernementales à la faveur d’une relance minière. Cette attitude révèle, selon moi, une certaine incohérence : ceux qui appellent à une transition écologique refusent d’en supporter les conséquences, c’est-à-dire l’extraction des minerais rares indispensables aux technologies vertes. Entre les rêves d’un monde plus vert et la matérialité d’un monde plus technologique, il n’est pas évident de choisir…
Une timide relance minière avait bien été promise en 2014 par Arnaud Montebourg. Or, la société australienne Variscan Mines, qui avait obtenu trois permis exclusifs de recherche minière en Bretagne, vient d’annoncer la suspension de ses activités. Ainsi, rien ne permet de croire que ce géant en sommeil vienne à se réveiller.
Cet entretien est également disponible sur Mediapart Le Club.