« On disait que le soleil ne se couchait jamais sur l’Empire de Charles Quint. C’était inexact. Le football a, lui, bâti un empire qui ne connaît pas — ou plus — aucune frontière et qui a imposé sa loi dans l’enthousiasme des peuples conquis, lesquels n’ont livré aucune résistance, bien au contraire. Parmi les symboles de la mondialisation, le football est bien plus développé que la démocratie, l’économie de marché ou même Internet. Un pays ermite comme la Corée du Nord s’y est par exemple depuis longtemps abandonné.
Dans le village global qu’est devenue la planète, les footballeurs sont les citoyens les plus connus et les plus populaires. J’effectue souvent le test suivant lorsque je donne une conférence. Je demande qui connaît Antonio Costa : personne ne lève généralement la main. Et lorsque j’ajoute : Qui connaît Cristiano Ronaldo ? personne ne la laisse baissée. Le premier est le très honorable Premier ministre du Portugal, pays qu’il a sorti de la crise économique où il était plongé. Le second n’est évidemment plus à présenter. La différence de notoriété entre les deux est sidérante.
Le football s’est imposé par sa simplicité. Quel amateur n’a jamais joué en posant simplement des tee-shirts au sol pour en définir les buts ? Né en Angleterre, il a commencé sa conquête par la voie maritime (les premiers clubs européens professionnels sont des villes portuaires), puis par les chemins de fer, la radio et finalement par la télévision. Et il a largement échappé à ses créateurs. Ses responsables craignaient que cette dernière ne vide les stades. Elle a créé un stade aux capacités illimitées : entre 2 et 3 milliards d’habitants devraient regarder la finale de la Coupe du monde 2018.
Mais le football se distingue de la mondialisation par un point essentiel : alors que cette dernière est accusée d’effacer les identités nationales, le football les recrée. Toute la nation se ligue pour soutenir son équipe, oubliant les clivages idéologiques et culturels. C’est également vrai pour les jeunes nations qui, à l’indépendance, se précipitent tout autant pour obtenir un siège à la Fifa qu’à l’ONU. Le football est le nouveau ciment de l’identité nationale. Aux éléments classiques constitutifs de l’Etat — territoire, population, gouvernement — peut désormais être ajouté : une équipe nationale de football.
Le football est un élément soft power, de rayonnement international par la voie douce. Dans le domaine stratégique, la puissance effraie et peut même susciter le rejet. En matière de sport, et de football en particulier, elle suscite respect et admiration. La puissance y devient attractive. Qui, aujourd’hui, pourrait nier les aspects géopolitiques du football ? Pas Vladimir Poutine, qui veut faire du Mondial 2018 une vitrine pour la Russie. Malgré le climat de nouvelle guerre froide, aucun pays ne va la boycotter, contrairement aux Jeux olympiques de Moscou de 1980. Dans les années 1990, l’émir du Qatar s’était vu demander, alors qu’il se rendait à Londres, où se situait son pays. Depuis l’achat du PSG, de Neymar et l’attribution de la Coupe du monde 2022, plus personne ne se pose désormais la question. Le Qatar a pris place sur la carte mondiale.
La rivalité Qatar – Arabie saoudite pousse cette dernière à pirater la chaîne qatarienne BEiN Sport. Le match PSG-Manchester City d’il y a deux ans était également un match Qatar-Emirats arabes unis. Quant à Xi Jinping, il ne peut plus supporter le fait que son pays, qu’il voit devenir première puissance mondiale, soit un nain footballistique. Selon ce dernier, Pékin ne peut rester dans les bas-fonds du classement Fifa et y être dépassé par le Japon et la Corée. La Chine organisera probablement la Coupe du monde 2030 et a pour objectif de la remporter avant 2050. »
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