Vous dites que la Coupe du monde de soccer est une façon de lire le monde. Pourquoi et comment ?
On le voit bien. Encore hier, l’attribution de la Coupe du monde de 2026 a été donnée à un consortium Mexique-États-Unis-Canada, à la suite de pressions et de menaces de [Donald] Trump, qui menaçait les pays qui ne voteraient pas pour lui de sanctions, et en même temps parce que c’est un marché plus important que le Maroc, qui était en face.
Aujourd’hui, le président [Vladimir] Poutine a prononcé un discours d’ouverture de la Coupe du monde. Jusqu’ici, les présidents des pays hôtes n’en prononçaient pas. Il a assisté au match avec le président de la FIFA [Gianni Infantino], mais également avec le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane. Donc, on voit bien que le football est un moyen de faire de la géopolitique, vu l’importance qu’il a prise, le fait qu’il est venu à la conquête du monde.
Le monde entier est à l’écoute d’un Donald Trump imprévisible, menaçant. On vient de vivre cette expérience au Canada. Il y a eu le sommet à Singapour avec Kim Jong-un. Croyez-vous que la décision de la FIFA d’octroyer la Coupe du monde 2026 aux « trois amis » est une faiblesse politique? Vous appuyiez la candidature du Maroc ?
Oui, pour des raisons de récompenser un pays africain et arabe, sur une taille plus réduite. Ce qui me paraît un peu curieux dans la triple candidature Canada, Mexique et États-Unis, c’est la relation qui existe entre ces trois pays.
Le président Trump a insulté votre premier ministre, il veut construire un mur avec le Mexique, donc c’est quand même un peu curieux de vouloir coordonner une Coupe du monde avec des pays qui étaient amis, mais auxquels on envoie des messages extrêmement négatifs. Mais plus encore que cela, que des chefs d’État militent pour leur candidature, c’est normal. Lula l’avait fait pour la Coupe du monde au Brésil, Nelson Mandela l’avait fait pour la Coupe du monde en Afrique du Sud.
Ni Justin Trudeau ni le président mexicain n’ont fait de telles menaces. Mais vous êtes un peu pris dans cette candidature un peu curieuse, quand même, de pays qui ont des relations compliquées et qui veulent recevoir ensemble le reste du monde.
Est-ce que la FIFA aurait pu tronquer sa décision à la faveur d’une menace de Trump ?
Non, pas la FIFA. C’est sûr que le dossier a des atouts. Ce sont trois pays avec de forts bassins de population, des pays riches. Simplement, les distances sont un peu longues pour les équipes et les partisans, d’aller du Canada au Mexique. Mais disons que les petites fédérations ont certainement un peu cédé aux pressions de Gianni Infantino, qui doit son élection à la tête de la FIFA à la tourmente que le FBI avait créée auparavant, et qui certainement pour amadouer à la fois le FBI et la justice américaine, a milité pour que la Coupe du monde revienne aux États-Unis.
Mais ce n’est pas très propre ça, non ?
C’est un peu contestable, effectivement. Il y a toujours eu des délits d’influence, du clientélisme, etc. Mais là, jamais on n’a eu un président comme Trump. Si les fédérations avaient voté pour le Maroc, ça aurait été un coup dur pour Trump, qui aurait vu que son chantage ne marche pas. Mais là, il va pouvoir dire : « Regardez! » Et le Canada va en souffrir, parce que Trump va comprendre que plus il fait une politique de force, plus ça marche. Et malheureusement, sa politique de force, il va la faire également à l’égard du Canada et, bien sûr, des pays européens.
Qu’entend retirer la Russie de cette Coupe du monde ?
Du prestige, forcément. Avant même que le coup d’envoi ait été donné, Poutine a gagné ce Mondial parce qu’il a pu l’organiser et parce que le monde entier vient chez lui. Il y a deux succès pour lui : il peut montrer aux Russes que grâce à son leadership, le monde entier vient chez lui et, surtout, il lave l’affront du boycott de 1980, du temps de l’Union soviétique, où les Jeux olympiques avaient été boycottés par de nombreux pays occidentaux. Il pourra dire aux Russes : « Avec moi, tout le monde vient. » Pour l’estime de soi du peuple russe, pour stimuler le patriotisme russe, c’est un bon point pour lui.
Il va aussi vouloir montrer au monde entier que la Russie n’est pas le pays répulsif que l’on décrit, que l’on peut y être bien accueilli, qu’il a les infrastructures. Mais, pour cela, il ne faudrait pas qu’il y ait de problèmes de hooligans, de cris racistes contre les joueurs noirs dans certaines équipes et de problèmes de sécurité. Quand on reçoit le monde entier, il faut aussi être à la hauteur de ses ambitions et de ses espérances.
Vladimir Poutine a déclaré que le sport transcende la politique. Partagez-vous son opinion ?
C’est vraiment une pure hypocrisie. Le sport est essentiellement politique. On peut dire que le sport peut transcender les frontières. Le sport permet de rencontrer des cultures différentes et des gens différents, de fraterniser. Mais vu l’importance qu’il a maintenant, le sport est d’essence politique dès le départ. Dès la création des Jeux olympiques, Pierre de Coubertin avait un objectif politique en tête. Et la Coupe du monde de football est aussi liée, bien sûr, aux intérêts géostratégiques.
Mon entretien accordé à Radio Canada à lire ici >>>