Beaucoup se demandent qui est le véritable vainqueur du sommet historique qui s’est tenu entre les deux présidents coréens. La plupart pensent qu’il s’agit du leader nord-coréen, Kim Jong-un, quand d’autres avancent que c’est plutôt le président américain, Donald Trump.
Personne, ou presque, ne cite le président sud-coréen, Moon Jae-in, pourtant grand architecte et réel vainqueur, même s’il eut l’intelligence de ne pas se mettre en avant, afin de laisser les deux autres protagonistes tirer la couverture à eux.
Kim Jong-un remporte une double-victoire : une reconnaissance internationale et un sommet avec le président américain, que ni son père ni son grand-père n’avaient pu obtenir. Il pourra s’en prévaloir auprès de sa population. Il capte la lumière.
D. Trump récupère à son profit un succès qui ne lui doit pourtant rien, sauf de ne pas l’avoir torpillé. Il va pouvoir arguer que ses menaces ont payé et permis de faire céder le dirigeant nord-coréen, que sa stratégie du fou, « Retenez-moi ou je fais un malheur », est la base de cet accord autant inattendu qu’inespéré.
Mais qui a insisté pour que restent ouvertes les voies de communication avec la Corée du Nord, alors que K. Jung-un et D. Trump se menacent mutuellement de bombardements atomiques et comparent la taille de leurs boutons nucléaires ? Qui eut l’audace de prendre ses distances avec le protecteur américain qui apparaissait en réalité plus comme une menace ? Qui n’a pas cédé à la tentation des déclarations belliqueuses qui satisfont les opinions, mais peuvent mener à la catastrophe… ? C’est bien le président sud-coréen, Moon Jae-in, qui a poursuivi la politique de sunshine policy, lancée par son mentor, Kim Dae-jung.
Il a prouvé que la voie diplomatique n’était pas celle du renoncement, mais celle qui apporte des solutions. Que va donner cet accord ? Il ne faut pas tomber dans un optimisme excessif. La signature d’un traité de paix entre les deux Corée serait un résultat en soi hautement appréciable, qui permettrait de mettre fin au dernier conflit hérité de la guerre froide. Cette situation rappelle la résolution de la crise de Cuba : Kennedy était présenté comme le vainqueur, car il avait obtenu le retrait des troupes soviétiques, quand le véritable gagnant était en fait Khrouchtchev, considéré comme le vaincu, qui avait permis de sanctuariser le régime cubain. Mais les deux ensemble avaient permis d’éloigner le spectre d’une guerre nucléaire.
Par contre, deux autres perspectives, si elles sont évoquées, resteront lointaines. D’abord, personne ne souhaite la réunification : Kim Jong-un, parce qu’il perdrait le pouvoir et Moon Jae-in parce qu’elle ruinerait son pays. Cette perspective constitue donc un horizon plus que lointain, mais son annonce a au moins le mérite de calmer le jeu. Kim Jong-un peut espérer une aide économique que la Corée du Sud sera prête à lui offrir en échange d’une baisse des tensions. Ainsi, tout le monde apparaît gagnant. Est-ce pactiser avec une dictature ? C’était déjà le reproche fait par les « faucons » quand Nixon et Kissinger ont lancé leur politique de détente avec l’URSS. Cette dernière fut plus payante que les agressivités de la guerre froide.
La Corée du Nord va-t-elle dénucléariser son pays de manière effective et surtout vérifiable ? Rien n’est moins sûr. Pourquoi se débarrasserait-elle de son assurance vie au moment où une éventuelle dénonciation de l’accord nucléaire iranien souligne les limites de la crédibilité des engagements américains ? K. Jong-un peut très bien s’engager théoriquement à dénucléariser, sans le faire complètement. Mais, il peut s’appuyer sur les exemples des puissances nucléaires officielles qui, selon le Traité de non-prolifération entré en vigueur en 1970, s’engagent à négocier de bonne foi les accords de désarmement, pouvant conduire au désarmement nucléaire général et complet. Bref, les calendes coréennes.
Mais, au-delà de ces limites, dans un monde où les catastrophes se succèdent, apprécions la simple joie d’une crise potentiellement catastrophique mise en sommeil.
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