Au cours de la période récente, et à plusieurs reprises, Manuel Valls s’est violemment et directement attaqué à moi. Au micro de Radio J, et dans les colonnes des magazines Marianne et L’Arche, allant jusqu’à réclamer que les pouvoirs publics cessent tout contact avec l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), que je dirige.
Curieuse conception de la démocratie sur laquelle nul journaliste n’a d’ailleurs cru bon de l’interroger. J’ai interpellé plusieurs fois M. Valls, afin d’obtenir une explication ou pour organiser un débat sur ces questions. Sonia Mabrouk, qui m’interviewait sur C news le 24 janvier 2018, lui a même publiquement proposé un débat. Alors qu’il se trouvait à son tour au micro de cette dernière, il justifiait son refus de la manière suivante :
« Non, mais moi je ne veux pas m’abaisser à un certain niveau. Je discute avec vous, je débats, je réponds à votre question. Au Parlement, on débat tous les jours. J’aime le débat, j’aime la discussion. Je n’ai aucune crainte par rapport à l’affrontement. Mais c’est précisément ce que cherche ce type d’individu. Toujours entre deux eaux, ambigu sur l’antisémitisme. C’est très difficile de débattre dans ces conditions. C’est lui offrir une place que je ne veux pas lui offrir »
M. Valls me prend visiblement de haut et estime que je ne suis pas à son niveau. Mais pourquoi dès lors avoir pris l’initiative de m’attaquer personnellement à plusieurs reprises ? Étrange comportement que celui d’attaquer publiquement quelqu’un, puis refuser de débattre avec lui, tout en affirmant aimer la contradiction… On peut surtout penser que son refus vient du fait que, bien qu’effectivement nous n’ayons pas le même statut, il ne pourrait pas sortir indemne d’une telle confrontation. Je pourrais en effet très facilement mettre en avant ses incohérences et ses mensonges sur le conflit israélo-palestinien.
Lorsque M. Valls critique ma note de 2001 sur le conflit israélo-palestinien, il oublie qu’il était particulièrement en phase avec moi lorsque je l’ai publiée. Sur ce point, je reproduis dans Antisémite un mot manuscrit qu’il m’a adressé en 2003, où il indique partager mes analyses sur le Proche-Orient et m’apporter son soutien. De plus, s’il estime que ce que je dis pose problème depuis longtemps, pourquoi a-t-il accepté d’être membre du conseil d’administration de l’IRIS de 2007 à 2010 ? Et pourquoi a-t-il maintenu la subvention de Matignon alors qu’il était lui-même Premier ministre ?
S’il m’attaque, après m’avoir soutenu, alors que je n’ai pas changé de position, c’est bien que lui a opéré un grand tournant. En effet, il fut très engagé dans la défense des Palestiniens, plaidant alors pour l’application du droit international. Il a non seulement décidé de prendre ses distances avec ce combat, mais également de combattre ceux qui sont sur la ligne qui fut autrefois la sienne. La situation stratégique aurait-elle conduit à un changement d’analyse ? Non. Pourquoi reprendre systématiquement l’argumentation des institutions officielles de la communauté juive, y compris l’amalgame antisionisme/antisémitisme/critique du gouvernement israélien, faux historiquement, politiquement et intellectuellement (un bon exemple de fake news) ? Pourquoi être passé d’une position très critique du gouvernement israélien à celle de soutien inconditionnel de ce dernier ? Il semble qu’il s’agisse d’un choix stratégique pris en fonction non pas de l’évolution d’un conflit, mais en tenant compte de la situation politique française. Celui-ci semble amener M. Valls à considérer qu’un destin national en France ne peut se conjuguer à une opposition aux institutions officielles juives françaises. Ce raisonnement, qui ne se base pas sur la justesse d’un combat, mais sur les bénéfices que peut apporter une prise de position, n’est pas très noble ; c’est le moins que l’on puisse dire.
M. Valls entretient de surcroît un climat délétère. Finalement, peu de responsables politiques auront nourri le communautarisme autant que lui. En reprenant, quel que soit le sujet de société ou de politique étrangère, les éléments de langage du Conseil de représentation des institutions juives (CRIF), il a contribué au raidissement communautariste de cette organisation, désormais inconditionnelle avocate de toutes les décisions des gouvernements israéliens. Il a également poussé les musulmans à s’organiser sur des bases communautaires, à la fois pour se défendre contre ce qui est ressenti comme agressif à leur encontre, mais aussi pour imiter la réussite du communautarisme juif.
En abordant la laïcité d’un point de vue radical et répressif, par une interprétation basée sur l’hostilité à l’islam plutôt que sur la liberté, il a participé à en galvauder et dénaturer le sens. En se montrant totalement engagé dans la lutte contre l’antisémitisme et relativement peu dans celle contre le racisme antimusulman, voire même en se montrant hostile à ceux qui dénoncent ce dernier, il a alimenté le sentiment d’un « deux poids, deux mesures », qui constitue l’une des principales causes actuelles de l’antisémitisme. En reprenant les thèses du CRIF sur le conflit israélo-palestinien et en souhaitant interdire les manifestations de solidarité avec les Palestiniens lors des bombardements de Gaza en 2014, en dressant un amalgame honteux entre quelques abrutis antisémites et l’immense majorité de ceux qui protestaient contre les attaques de populations civiles, de surcroît soumises à un embargo, il a jeté de l’huile sur le feu et contribué à aggraver les conséquences de l’importation du conflit en France. C’est cette importation qui est également aujourd’hui l’un des autres principaux ferments de l’antisémitisme, notamment au sein des jeunes générations.
M. Valls nourrit en fait un phénomène qu’il dit vouloir combattre. C’est un calcul payant, puisqu’il est devenu le héros des institutions juives. Plus il nourrit l’antisémitisme et le communautarisme, plus il apparaît indispensable à la lutte contre ces phénomènes. Et alors qu’il est omniprésent dans les médias, nul n’a jugé bon de lui demander pourquoi il avait aujourd’hui sur le conflit israélo-palestinien des positions aux antipodes de celles qui furent les siennes dans un passé récent.
Ainsi, par une hystérisation des débats qu’il contribue à créer, il renforce les extrêmes et rend encore plus nécessaire son « combat » emblématique. Persuadé que les questions identitaires seront de plus en plus centrales en France, il alimente un climat de confrontation. Non content de trahir ses engagements passés, il diabolise ceux qui y sont restés fidèles. C’est un pompier pyromane qui abîme la société française et dresse les communautés les unes contre les autres, afin de nourrir ses ambitions personnelles.
Pascal Boniface vient de publier L’antisémite aux éditions Max Milo.
-> L’article est également disponible sur Mediapart Le Club.