Valérie Niquet, spécialiste des relations internationales et des questions stratégiques en Asie, est responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique. Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « La puissance chinoise [en 100 questions] », aux éditions Tallandier.
Votre ouvrage est sous-titré « Un géant fragile ». Quelles sont justement les zones de fragilité de la Chine ?
La Chine est une grande puissance : deuxième puissance économique mondiale, deuxième budget militaire (loin) derrière les États-Unis, de 144 milliards de $ en 2017. Elle joue désormais un rôle majeur à l’Organisation des Nations unies (ONU) et est le premier contributeur en effectifs aux opérations de maintien de la paix dans le monde. Enfin, le yuan a pu être intégré au panier de devises du Fonds monétaire international (FMI) en dépit de sa non-convertibilité.
Pourtant, derrière ces éléments de puissance, le discours très affirmé du Président Xi Jinping sur le retour de la Chine sur la scène internationale et le « rêve chinois », l’émergence de la Chine est confrontée à de difficiles limites à franchir. Sur le plan économique, la période de la croissance facile, fondée sur une main-d’œuvre bon marché, des exportations massives, les investissements et le crédit, est terminée ; l’heure est désormais au rééquilibrage. Mais, ce dernier suppose des réformes en profondeur que le pouvoir chinois n’est pas prêt à accomplir. Il en va de même de la lutte (efficace) contre la pollution, ou la prise en charge des besoins sociaux qui permettrait aux Chinois d’épargner moins et de consommer plus. Enfin, la reprise en main idéologique et la nécessaire lutte contre la corruption, peuvent paradoxalement provoquer une réaction de rejet ou de passivité, au sein de la population et des élites, qui risque de freiner le « retour à la puissance » de la Chine.
Idéologiquement, l’apport théorique du président Xi Jinping (la pensée Xi Jinping pour une nouvelle ère du socialisme aux couleurs de la Chine) demeure limité, au-delà de la volonté d’imposer son pouvoir et de garantir le rôle dirigeant du Parti communiste chinois. Surtout, pour beaucoup d’analystes chinois, la stratégie régionale plus « affirmée » de la Chine provoque également des réactions de crainte ou d’hostilité qui pourraient nuire aux intérêts chinois à long terme et aux besoins de stabilité.
Le projet OBOR (les « nouvelles routes de la soie ») est-il vraiment, comme le présente Xi Jinping, le « plus important plan de développement de l’histoire moderne » ?
OBOR (One Belt One Road) est devenu, pour le président Xi Jinping, le premier projet et principal instrument de projection de la puissance chinoise vers l’extérieur. L’OBOR se veut la prolongation du « rêve chinois » à l’international. Il s’agit de séduire d’anciens partenaires, ou plus récents, qui s’étendent aujourd’hui à la quasi-totalité du globe, bien au-delà du périmètre traditionnel des routes de la soie qui traversaient l’Asie centrale.
La dimension économique est attrayante, les capacités de financements de la République populaire de Chine (RPC) sont un des éléments essentiels du soft power de Pékin et de ses moyens de peser sur les stratégies de ses partenaires. À ce titre, la Chine a pu bénéficier du retrait des puissances occidentales de nombres de marchés jugés difficiles ou risqués. En matière d’investissements dans les infrastructures, la Chine comble un vide, que ce soit dans les parties les moins développées d’Asie ou sur le continent africain. Toutefois, derrière les effets d’annonce de sommes considérables, la réalité des investissements est beaucoup plus modeste. Vers les espaces maritimes d’Asie du Sud-Est, l’OBOR se veut aussi, depuis son lancement en 2013 par le président Xi Jinping, un instrument d’apaisement, destiné à séduire des pays inquiets des offensives chinoises en mer de Chine.
Toutefois, en dépit d’une indéniable attractivité, la méfiance des partenaires de Pékin n’a pas véritablement disparu et beaucoup soupçonnent la RPC de vouloir essentiellement renforcer son poids géopolitique et exporter les surplus massifs de ses capacités de production, au service des intérêts de ses entreprises.
En Europe, si la banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB) a suscité un réel intérêt, la méfiance à l’égard des stratégies chinoises de « division » de l’ensemble européen, en utilisant l’attractivité des projets OBOR, se fait également sentir.
Surtout, pour les analystes chinois eux-mêmes, le risque, pour la Chine, de s’engager massivement dans d’importants projets, auprès de pays financièrement et politiquement très fragiles – les plus intéressés par les opportunités offertes – devrait être mieux pris en compte, même si Pékin, en raison de la structure encore très étatique de son économie et des spécificités de son système politique, peut assumer des prises de risques plus importants, au service d’ambitions stratégiques à plus long terme.
La période où la Chine négligeait, à tort, la puissance maritime est-elle révolue ?
La Chine, depuis les années 1980, a l’ambition de devenir une grande puissance maritime et navale. La mémoire de Zheng He, qui commanda plusieurs expéditions vers l’océan Indien au XIVe siècle, a été redécouverte pour étayer la volonté de la Chine d’apparaître comme une grande puissance maritime. Surtout, les Chinois ont lu Mahan et considèrent qu’une véritable puissance globale doit bénéficier d’une forte dimension maritime.
Désormais, les Chinois ont également les moyens économiques et technologiques de construire cette puissance maritime et navale. Pékin s’est par exemple doté de deux porte-avions, dont l’opérationnalité est encore très limitée, mais qui jouent un rôle important dans l’affirmation symbolique de sa puissance sur les mers. La marine est désormais l’une des armes prioritaires de l’Armée populaire de libération et la Chine a accompli des efforts considérables pour se doter de bâtiments plus modernes. Les avancées chinoises en mer de Chine en sont la concrétisation, même si, là encore, les îlots occupés et remblayés ne seraient pas d’une grande utilité en cas de conflit.
Au-delà, la Chine s’est également dotée de la première flotte de garde-côtes au monde avec plus de deux-cents bâtiments. Enfin, première puissance commerciale, la Chine a désormais des intérêts à préserver bien au-delà de ses côtes, comme en témoigne l’inauguration récente de la base chinoise de Djibouti.