Le 1er octobre 2017, s’est tenu un référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Jugé illégal par le gouvernement espagnol, il a vu le Oui l’emporter à 90% des voix (taux de participation : 42,3%) dans un contexte de fortes violences.
Il y a presque une vingtaine d’années, j’avais développé le concept de « prolifération étatique », à la suite de l’implosion de l’URSS et de la Yougoslavie. Je mettais en garde contre un phénomène qui me paraissait au moins aussi grave que celui de la prolifération des armes nucléaires : les sécessions d’États, qui n’étaient d’ailleurs pas uniquement animées par une volonté d’indépendance nationale, comme au temps de la décolonisation, mais guidées par l’égoïsme économique de vouloir conserver ses ressources naturelles/richesses, sans les partager avec les membres d’une ancienne fédération. Les Républiques slaves de l’URSS ne voulaient plus payer pour celles d’Asie centrale. La Slovénie, qui représentait 10% de la population et 25% du PIB yougoslave, a été la première à faire sécession. Cela pouvait conduire à un émiettement du monde et surtout des conflits, parce que, mis à part l’expérience tchécoslovaque, les divorces de velours sont plutôt rares. Les sécessions se terminent généralement dans le sang.
Je ne suis pas forcément un adepte du séparatisme et de la sécession. Mais ce qui vient de se passer en Catalogne me paraît être d’un ressort tout à fait différent. Bien sûr, cette dernière représente la partie la plus riche de l’Espagne, et l’aspect économique n’est initialement pas absent des revendications d’autonomie, les droits culturels des Catalans réprimés par Franco étant désormais reconnus. Mais, comment expliquer que, dans la période récente, la volonté indépendantiste se soit autant renforcée ?
La responsabilité du gouvernement espagnol n’y est pas étrangère. Depuis plusieurs années, Mariano Rajoy ne veut pas négocier avec les Catalans et les pousse davantage dans leurs retranchements. Bien sûr, dès le départ, certains souhaitaient l’indépendance. Mais d’autres réclamaient simplement une plus grande autonomie et une redistribution différente. On peut dire que l’intransigeance hermétique de M. Rajoy est venue augmenter le nombre de Catalans désirant l’indépendance.
Rajoy a perdu la « guerre des images ». Peut-on empêcher ainsi par la force, la force brutale et non la force de la loi, des gens qui veulent se rendre aux urnes ? Comment imaginer et accepter, qu’au sein de l’Union européenne (UE), basée sur des règles de démocratie, on puisse charger par la force des gens qui veulent voter ? Même si ce référendum était décrété illégal par Madrid, il y avait certainement d’autres moyens de s’y opposer. Ces violences à l’égard d’une population civile qui souhaite s’exprimer, la répression d’une manifestation par la force… Tout ceci est très grave.
Bien sûr, les gouvernements européens sont très gênés. Ils ne veulent pas critiquer un État membre, auquel ils tiennent, dont ils ont besoin. C’est également une façon de n’être pas critiqué soi-même. Mais, peut-on concevoir que l’UE, qui aime bien faire la leçon au reste du monde, notamment sur les questions du respect des droits de l’homme, de gouvernance, ne dise pas un mot sur une répression si violente ? Quoi qu’on puisse penser du référendum en tant que tel, ce silence pesant est un peu gênant. Il n’est pas du tout normal que l’on puisse s’élever contre des violences policières partout dans le monde, sauf lorsqu’elles ont lieu dans un autre pays membre de l’UE.
De même que David Cameron, par un enfermement politique et psychologique, a précipité le Brexit, on peut dire que M. Rajoy aura accentué le désir d’indépendance de la Catalogne. Il sera très difficile de reprendre le fil d’un débat, d’une négociation, d’un dialogue entre les Catalans et le gouvernement espagnol, tant que ce dernier sera dirigé par M. Rajoy.
Il est loin d’être certain que l’indépendance serait bénéfique à la Catalogne. Cette dernière ne serait plus membre de l’UE. Le fait de maintenir ensemble une fédération, malgré les différences des États membres, y compris sur le plan de la richesse, nécessite souplesse et ouverture. Mais M. Rajoy ne semble disposer ni de l’une, ni de l’autre. Les solutions répressives et autoritaires ne sont que des politiques de Gribouille, qui conduisent à la réalisation ce qu’on disait vouloir combattre.