À travers mon dernier ouvrage, paru aux éditions La Découverte, je rends hommage à un poète immense et musicien hors pair, qui aurait eu cent ans en 2016.
2016 est l’année du centenaire de Léo Ferré.
Léo Ferré a écrit, paroles et musiques, quelques-unes des plus belles chansons du répertoire français : « Avec le temps », « La mémoire et la mer », « C’est extra », pour les plus connues. Et d’autres formidables bijoux qu’il serait trop long d’énumérer. Il les a chantées lui-même, soulevant l’enthousiasme du public. Ses chansons ont été reprises par les artistes les plus divers, de Bernard Lavilliers à Julien Clerc, de Catherine Sauvage à Juliette Gréco.
Il a composé près de cinq-cents chansons, sorti plus de quarante albums. Sa carrière serait-elle limitée aux années 50 et 60, son œuvre aurait suffi à en faire l’un des plus grands auteurs-compositeurs-interprètes français à l’égal – pour le moins – de Jacques Brel ou Georges Brassens.
Mais cette époque de sa vie est loin de pouvoir résumer sa carrière.
À partir de la fin des années 60, il a renouvelé son répertoire en se produisant avec des groupes de pop music (dont les « zoo »), puis a dirigé des orchestres symphoniques (concerts Pasdeloup, orchestre symphonique de Liège, de Milan) dans les années 70. Il a fait connaître à un public jeune la musique classique. Ce fut le cas notamment en novembre 1975, où il remplit les 3700 places du Palais des Congrès pendant un mois, mêlant ses chansons aux musiques de Ravel et Beethoven.
Sur le plan musical, il est donc, avec succès, passé de la java à la pop musique, de l’oratorio à la chanson classique. Sur scène, il pouvait s’accompagner seul, au piano ou diriger un orchestre symphonique.
Certains voient en lui dans sa période 68-73 un homme qui incarnait la révolte de mai 68, voire qui en a été précurseur, et une grande partie de la jeunesse se reconnaissait en lui, assistant en masse aux 150 concerts par an qu’il donnait dans des salles toujours trop petites. Ne peut-on y voir une résonnance avec les évènements actuels, même si une grande partie de la jeune génération ne connaît pas ou peu Léo Ferré ?
Ces textes parlés – « Le chien » ; « Il n’y a plus rien » ; « Préface » – font que certains voient en lui l’inventeur du slam.
Un autre élément majeur vient s’ajouter à cette œuvre déjà gigantesque : Léo Ferré est celui qui a le plus, et le mieux, mis en musique les autres poètes français. « Pauvre Rutebeuf » a été repris par Joan Baez. Rutebeuf est ainsi sorti de l’oubli et a même eu accès au public américain. De même, « Frères humains » de Villon est redevenu vivant et à la portée de tous.
Mais Léo Ferré ne s’est pas arrêté à quelques textes. Deux double-albums ont été consacrés à Baudelaire, Verlaine et Rimbaud ont eu droit à quatre albums qui restent gravés dans les mémoires. Cela, bien sûr, ne doit pas faire oublier la splendide orchestration de « La chanson du mal-aimé » de Guillaume Apollinaire, duquel Ferré a également mis en musique « Le pont Mirabeau », « Marie ». L’album consacré à Aragon, avec l’immortelle « affiche rouge », constitue une autre contribution majeure de Léo Ferré à la diffusion populaire de la culture.
Ce n’est pas par hasard que Louis Aragon écrivait dans « Les lettres françaises » : « il faudra réécrire l’histoire littéraire un peu différemment, à cause de Léo Ferré. »