Chérif Ghemmour, journaliste sportif, propose des approches sociales, politiques et culturelles d’un siècle d‘histoire de coupe de France. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Coupe de France 1917 – 2017 : le roman du centenaire », aux éditions Solar.
Comment expliquez-vous que « la vieille dame » a résisté à toutes les concurrences et s’est maintenue durant la guerre ?
Seule la Coupe de France a pu générer des épopées marquantes émanant de toutes les régions et de toutes les divisions, professionnelles et amateures. Ce qui n’est pas le cas des autres compétitions, au format beaucoup plus élitiste (championnat de D1-L1, Coupe Drago et Coupe de la Ligue). L’attachement des Français pour cette épreuve « égalitaire » constitue encore une valeur républicaine forte : les aventures populaires de Calais, Quevilly ou Guingamp l’ont bien démontré. La méritocratie républicaine en football, semblable à la promotion sociale par l’école de la République, permet au « petit club » de s’élever au plus haut de ses capacités… en terrassant parfois les « gros » !
Durant la Guerre (1940-1944), le régime de Vichy a engagé une grande politique nationale du sport. Cette pratique sportive marquée du sceau de l’amateurisme ne pouvait abolir totalement un sport d’élite professionnel comme le football. Qui plus est, les footballeurs et les vedettes du cinéma ou de la chanson sont les rares personnalités positives à faire oublier l’humiliation et les privations. Le régime a donc maintenu la coupe de France (sous son appellation originelle de 1917, Coupe Charles Simon) parce qu’elle était aussi plus facile à mettre en place que le championnat national sur un territoire désorganisé et morcelé en trois zones géographiques. Durant l’Occupation, la Coupe Charles Simon a maintenu un semblant d’unité et de continuité nationales avec ses rites sportifs classiques : éliminatoires par zones, rencontres interzones puis finales à Paris entre grands clubs bien identifiés. À la Libération, les autorités du football français ont enfin décidé que le palmarès en coupe de France de l’Occupation serait homologué à jamais, à la différence des vainqueurs du championnat national qui ne pourraient jamais se prévaloir de leurs titres. Là encore, on peut en déduire que malgré Vichy, la Coupe de France a perpétué « en esprit » la continuité républicaine.
Elle s’est même relevée du drame de Furiani auquel vous consacrez un passage entier. Pouvez-vous développer ?
Attention ! La Coupe de France ne s’est relevée que difficilement de cette tragédie. Cette catastrophe s’est déroulée en direct, à la télévision. Et le traumatisme des survivants sur place, comme celui des téléspectateurs, est toujours resté dans les mémoires. La finale n’a pas été jouée et ce titre de 1992 est resté vacant. C’est quand même un « vide » édifiant dans le palmarès du centenaire. De plus, certaines associations de victimes réclament toujours que le 5 mai soit sanctuarisé comme « journée sans football » … Mais la Coupe de France s’est en effet relevée de ce drame. Car elle a su faire acte de résilience à travers (là encore) le principe de continuité républicaine attachée à cette épreuve. La solidarité et l’empathie nationales, le rôle des services publics hospitaliers ainsi que la visite du président Mitterrand à Bastia le lendemain du drame ont concouru à « atténuer » la gravité de l’événement. Club N°1 en France en 1992, le grand OM de Bernard Tapie souvent décrié pour son arrogance et son fric a démontré l’exemplarité de ses sentiments. Pendant le drame, les joueurs olympiens ont aidé les secours, puis après le drame, ils ont refusé de jouer cette demi-finale contre Bastia, voire la finale contre Monaco. Tout un pays a donc « endossé », à sa mesure, une tragédie locale provoquée au départ par l’irresponsabilité des dirigeants bastiais. Il n’a donc pas été question d’interrompre la Coupe les années suivantes. Le drame de Furiani a paradoxalement rapproché la métropole et l’Île de Beauté en renouant, par la douleur, hélas (!) un dialogue souvent mal accordé.
La coupe de France est-elle réellement attractive pour les clubs professionnels ?
Fondamentalement, non. Jusqu’au passage au professionnalisme en 1933, la Coupe de France est l’épreuve nationale reine. À tel titre que ses clubs vainqueurs sont baptisés « champions de France »… Ensuite, elle a progressivement été moins attractive car comme le rappelle Didier Braun, ancien pilier du journal l’Équipe, malgré l’attrait, le prestige et l’aventure, « les clubs pros ont toujours eu peur de la Coupe de France ». La peur du ridicule de tomber face à un plus petit, la crainte de blessures handicapantes en championnat pour des effectifs autrefois limités ainsi que la faible rémunération longtemps consentie pour les vainqueurs par la FFF (elle est beaucoup plus élevée en 2017) ont globalement refroidi les ardeurs du monde pro. Les Coupes d’Europe (notamment dans les années 90) puis à partir de 1995 la Coupe de la Ligue (plus courte et plus rémunératrice), ont encore plus concurrencé cette épreuve très aléatoire. Reste que… La mystique de la coupe demeure. Tous les joueurs professionnels sans exception rêvent de la remporter un jour, de la brandir dans un Stade de France en liesse. D’autant plus que c’était de loin le trophée le plus facilement abordable pour les équipes petites ou moyennes. « C’était » ! Car les grands clubs pros, tel le PSG actuel, ont compris qu’un titre était un titre et que la Coupe de France, trophée « secondaire », prodiguait beaucoup de bonheur aux supporters et redorait leur image. Ainsi, le PSG rafle tout depuis 2015. En 2017, s’il n’y avait eu la demi-finale de Ligue des Champions contre la Juventus, l’AS Monaco n’aurait certainement pas aligné une équipe B au Parc contre Paris en demie de Coupe de France (0-5). Normal : Monaco qui n’a plus gagné de titre national depuis 2003 souhaitait remporter cette Coupe 2017… Enfin, les nombreuses surprises des « petits Poucets » qui ont émaillé la compétition depuis 15, 20 ans (Calais, Quevilly, Carquefou) ne doivent pas faire oublier que les clubs pros finissent toujours par avoir le dernier mot. En 100 ans, seuls deux clubs de D2 ont gagné la Coupe : Le Havre (1959) et Guingamp (2009) …