Jean-Dominique Giuliani préside la Fondation Robert Schuman, centre de recherche de référence sur l’Union européenne et ses politiques. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage : « Pour quelques étoiles de plus…Quelle politique européenne pour la France ? », aux éditions Lignes de repères.
Vous estimez que la voix de la France en Europe est éteinte. Qu’est-ce qui vous amène à cette conclusion ?
Depuis la création de l’euro, à l’exception de Nicolas Sarkozy pendant la crise financière, la France n’a fait aucune proposition concrète pour améliorer le fonctionnement des institutions européennes. Initiatrice de l’Union européenne (UE), elle est attendue pour ses propositions, ses idées, ses concepts. C’est l’un de ses rôles. Elle s’est pourtant contentée de commenter en permanence les défauts de l’euro, de l’Europe et de réagir dans l’urgence plutôt que d’agir dans la durée. Elle a participé au désamour des citoyens envers la construction européenne au lieu de pousser cette dernière à endosser une vraie vision stratégique. C’est particulièrement flagrant s’agissant de la relation franco-allemande, politisée à tort, alors qu’il s’agit d’une relation bilatérale indispensable. Entre ces deux États, les visions sont souvent différentes. Les partager, les échanger, chercher des compromis, demeurent les moteurs d’un rebond de l’Europe.
Nos dirigeants au plus haut niveau n’ont jamais porté en interne les débats européens. Avez-vous déjà lu dans un compte-rendu du Conseil des ministres, une ligne expliquant comment une décision nationale s’inscrit dans le cadre européen ou contre une décision prise en commun à Bruxelles ? Peu de parlementaires s’en soucient, se contentant de slogans tout faits. Même les succès européens, en matière d’environnement, de concurrence (Apple, Google) sont systématiquement passés sous silence.
Cette attitude d’indifférence, de timidité et de distanciation a gravement porté atteinte à nos intérêts nationaux qui ne sont jamais mieux défendus qu’en partenariat avec nos alliés les plus proches.
Vous proposez la création auprès du Premier ministre d’un vice-premier ministre en charge des Questions européennes. Pouvez-vous développer ?
La politique européenne ne relève plus de la pratique diplomatique traditionnelle. Elle concerne la plupart du temps la politique intérieure. Les ministères, le Premier ministre, doivent la prendre en compte en permanence, sans l’expliquer, sans l’assumer et parfois dans le désordre interministériel. Nombreux sont nos experts des ministères qui siègent dans des comités à Bruxelles. Leur coordination est assurée par le Secrétariat général aux Affaires européennes.
Je propose qu’un vice-Premier ministre soit placé auprès du Premier ministre, partage avec lui les mêmes collaborateurs et regroupe sous son autorité, même à titre temporaire, tous les services qui concourent à la politique européenne de la France, y compris nos ambassadeurs dans les États membres, pour ce qui la concerne. Il procèdera, au nom du gouvernement, aux arbitrages nécessaires, aura pour tâche de rendre compte au Parlement et de l’associer en amont des décisions ; il sera le porte-parole du gouvernement pour les questions européennes qui doivent plus largement être débattues en transparence avec les Français. Notre pays est en retard sur ses partenaires en matière de démocratisation de la politique européenne. Elle concerne désormais presque toutes les missions gouvernementales et touchent désormais des prérogatives régaliennes de l’Etat. On ne peut pas continuer à passer des accords avec nos partenaires sans débats préalables, sans présenter aux citoyens les alternatives à trancher, sans expliquer des choix qui engagent pour longtemps la politique intérieure.
Vous appartenez à la famille centriste généralement atlantiste. Pourtant, vous semblez développer une vision gaullo-mitterrandienne des relations entre l’Europe et les États-Unis…
Il est peut-être temps de sortir de ces clichés ! La campagne électorale pour l’élection présidentielle française a montré combien ils étaient dépassés. Il en est de même pour l’UE. Au stade de l’intégration qu’elle a atteint et compte-tenu des défis nouveaux qu’elle doit relever, elle ne peut plus se permettre, au moins pour un temps, de débats stériles entre l’intergouvernemental et le communautaire. De toute façon l’un conduit à l’autre si l’on obtient des résultats efficaces. Pour la sécurité, la défense, l’immigration et la politique monétaire, une Europe indépendante peut se construire par la volonté et l’exemple de quelques États membres.
En matière de politique étrangère, l’indépendance de l’Europe est aujourd’hui une nécessité. Or, une expression diplomatique forte doit être crédibilisée par une capacité militaire certaine. Plutôt que de poursuivre sur la voie d’une « défense européenne » improbable et incertaine, je propose de se concentrer d’abord sur la défense de l’Europe. Cela passe par d’importants efforts budgétaires mais aussi par une coopération à quelques-uns, par exemple par un traité de défense entre la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ouvert aux autres, il doit permettre, chacun avec ses contraintes et ses spécificités, de démontrer que nous sommes capables d’organiser une défense crédible du continent, tout en restant dans l’OTAN, alliance nécessaire.
Cette avancée permettrait des développements diplomatiques et politiques que l’Union ne peut pas initier dans ces domaines régaliens.