Hubert Coudurier est directeur de l’information du quotidien Le Télégramme et président de TeleBretagneouest (Tebeo). Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Jean-Yves Le Drian, le glaive du président », aux éditions Plon.
Jean-Yves Le Drian est-il gaullo-mitterrandiste ou néoconservateur ?
Vous faites référence à la politique arabe définie par le Général de Gaulle ayant consisté à tourner le dos au peuple juif, sûr de lui et dominateur. Une politique poursuivie par François Mitterrand puis par Jacques Chirac, dont on se souvient le fameux voyage en terre sainte en 1996, lors du début de son premier mandat, perçu comme un camouflet envers l’État hébreu. À l’époque, les provocations de l’armée israélienne à l’égard du chef de l’État français suscitèrent de sa part une réplique indignée qui lui valut un accueil triomphal le lendemain par Yasser Arafat au sein des territoires occupés.
L’inflexion date clairement de Nicolas Sarkozy, dont la diplomatie fut qualifiée d’atlantiste – après sa réception en grande pompe à Washington en 2007 – par George W. Bush, chef de file des néo-conservateurs ayant décidé d’exporter la démocratie au Moyen-Orient, en commençant par l’invasion de l’Irak. Une erreur funeste contre laquelle Jacques Chirac l’avait mis en garde. Mais Sarkozy voulait se démarquer de son prédécesseur et se réconcilier avec les Américains qui n’avaient guère apprécié l’attitude de Chirac. Paradoxalement, Hollande, qui entretenait de bonnes relations avec Obama – même si le président américain l’a « lâché » sur la Syrie – s’inscrit dans la continuité de cette évolution. Le fait d’avoir stoppé les jihadistes au Mali lui a valu un satisfecit appuyé de la Maison Blanche, qui a aidé substantiellement l’armée française dans la zone sahélo-saharienne, notamment en matière de renseignement. Tout en lui déléguant la conduite des opérations, comme à l’époque de la guerre froide, où la France apparaissait tel le « gendarme de l’Afrique ». Au Moyen-Orient, la France apparaît plus en supplétif de Washington, mais les relations entre Jean-Yves Le Drian et ses homologues qui se sont succédé au Departement of Defense (DOD), nouées avant même l’élection de François Hollande, auront été excellentes. En ce sens, Le Drian est un néo-conservateur, bras armé d’une diplomatie plus atlantiste que par le passé, laquelle a utilisé l’outil militaire dans un sens plus interventionniste que jamais. D’autant que le complexe militaro-industriel français a profité du désengagement américain au Moyen-Orient pour battre des records en termes d’exportation d’armements. Jean-Yves Le Drian, que je qualifie de « glaive du président », s’abrite néanmoins derrière la caution de l’ONU, sauf aux premières heures de l’opération Serval, contrairement aux néo-conservateurs américains.
Sous son égide, le ministère de la Défense a-t-il pris le pas sur Quai d’Orsay ?
L’opération Serval ayant été la plus grande opération de l’armée française depuis la guerre d’Algérie, Jean-Yves Le Drian a vite été qualifié de « ministre de l’Afrique » au détriment de Laurent Fabius. D’autant que Fabius qui cherchait, dit-on, à recevoir le prix Nobel de la Paix, s’est enferré dans une approche « droits de l’hommiste » en expurgeant le Quai d’Orsay de ses meilleurs « africanistes » qui avaient le malheur de tenir un discours un peu trop réaliste et d’affronter le ministre. Par ailleurs, il disposait d’une grande autonomie à ses débuts, jusqu’au moment où l’Élysée a repris les commandes dans le domaine régalien, s’est concentré sur le dialogue avec la Russie, bien que son rôle ait été occulté par le tandem Hollande-Merkel. Et surtout le chef de la diplomatie a été absorbé par sa fascination pour la Chine, où il s’est rendu à de multiples reprises dans une approche « pro-business ».
Il n’en demeure pas moins que Le Drian s’est surtout imposé en Afrique de l’Ouest, dans l’ancien pré carré où a été réorganisée l’implantation militaire sous le nom de dispositif Barkhane. Le ministre de la Défense a été beaucoup moins présent dans cette Afrique australe d’influence anglo-saxonne où la diplomatie française tente de percer depuis une bonne décennie avec des résultats mitigés.
Vous semblez estimer que l’intervention au Mali est un succès tandis que celle en République centrafricaine (RCA) est un échec. Pouvez-vous développer ?
En réalité, les deux interventions étaient de nature très différente. Au Mali, il s’agissait de stopper une colonne jihadiste venue du Nord, résultat de la jonction de plusieurs mouvements rebelles qui menaçaient la capitale Bamako. La crainte était que cela aboutisse à un sanctuaire terroriste en plein cœur de l’Afrique de l’Ouest à la dimension d’un État. L’opération a été pleinement réussie car les différents mouvements (Ansar Dine, Mujao…), que l’Algérie avait vainement essayé d’amener à la table des négociations, ne s’attendaient pas à une réaction aussi rapide de la France. D’autant que l’armée française, aidée par les soldats tchadiens, est allée ensuite les débusquer dans le massif des Ifoghas. Il n’en demeure pas moins qu’une certaine instabilité demeure, en particulier dans le centre du pays. Quelques jours après le passage à Gao de François Hollande en janvier dernier, à la veille du sommet franco-africain de Bamako, un attentat a fait une cinquantaine de morts.
En RCA, sur lequel planait le spectre du Rwanda qui a paralysé la politique africaine de la France pendant une bonne décennie, l’objectif était de séparer les combattants de la Seleka des anti-balakas qui étaient très imbriqués avec un risque, sinon de génocide, du moins de guerre civile. L’objectif a été atteint, des élections ont pu se tenir comme au Mali, mais en RCA, l’État est entièrement à reconstruire et contrôle encore moins son territoire dès lors que l’on sort de Bangui. La France a évité l’enlisement au Mali en redéployant son effectif sur la zone sahélo-saharienne avec pour épicentre N’Djamena, ce qui nous conduit à soutenir Idriss Déby malgré les pratiques fort peu démocratiques du président tchadien. Le dispositif Barkhane est désormais plus dynamique mais les 4.000 hommes qui le composent ne sont pas près de revenir en France. En RCA, la France ne conserve plus qu’une présence symbolique à l’aéroport de Bangui. Toutefois, les affrontements risquent de reprendre un jour ou l’autre. Ainsi, même si l’ONU a pris le relais et que les soldats français ont été déplacés hors de leurs casernements traditionnels à Dakar, Libreville ou Abidjan, c’est un éternel recommencement. Et Le Drian s’est appuyé sur trois piliers de la Françafrique, dont les exactions ont été passées par pertes et profits : le Tchadien Idriss Déby, le Nigerien Issoufou et le Congolais Sassou Nguesso, utile pour résoudre la crise en RCA.