La prise d’Alep par le régime de Bachar Al-Assad, fin décembre 2016, a permis de prouver que les Russes éraient capables d’utiliser avec succès la force militaire à des fins politiques, contrairement aux Américains. Mais, si cette réussite conforte indéniablement le maintien au pouvoir du président syrien, elle ne règle en rien la question fondamentale de l’avenir de la Syrie, pas plus qu’elle ne dégage les moyens de mettre fin au conflit qui l’ensanglante depuis 2011.
Les Russes se trouvent désormais confrontés à une impasse en Syrie. Le pays est en effet complètement détruit : Près de 70 % des Syriens vivent dans une situation d’extrême pauvreté, incapables de satisfaire leurs besoins élémentaires ; le taux de chômage est proche de 60 % ; l’espérance de vie a chuté de vingt ans depuis le début de la révolte et de la guerre civile en 2011 ; la moitié des enfants, génération perdue, ne va plus à l’école ; le système de santé publique, autrefois efficace, est démantelé et certaines maladies qui avaient disparu – comme la tuberculose, la typhoïde, le choléra et même la poliomyélite – sont réapparues ; la moitié de la population a été déplacée et le nombre de victimes a dépassé 300 000 morts, auxquels il faut ajouter entre 1 et 2 millions de blessés. Une grande partie des élites et les classes moyennes ont fui le pays. Celui-ci, autrefois moderne, doté de services publics éducatifs et de santé performant, est quasiment revenu à un âge préindustriel. Bref, la Russie a hérité de la responsabilité d’un État failli.
Si l’opposition n’est pas en mesure de renverser Bachar Al-Assad, celui-ci n’est pas davantage en mesure de reconquérir l’ensemble du pays. Ce « pat »[1] stratégique n’est pas supportable à long terme pour Moscou. Certes, du fait de l’absence d’opérations terrestres massives russes, l’effort militaire est tout à fait endossable. Les pertes humaines sont limitées et le coût des opérations aériennes est maîtrisé. Mais la Russie n’a pas les moyens de reconstruire la coquille vide qu’est devenue la Syrie. Il est donc indispensable aujourd’hui de trouver une porte de sortie qui ne peut être que politique, faute de quoi la Syrie, qui ne produit quasiment plus rien, deviendra un fardeau de plus en plus lourd à supporter pour la Russie.
Bachar Al-Assad se présente comme le garant de la souveraineté syrienne mais ne l’est en rien. Son discours nationaliste et patriotique ne survit pas à l’épreuve des faits. Celui qui est présenté comme le maître de Damas n’est pas maître de grand-chose au sein de son propre pays, qui ne tient que par l’appui militaire de la Russie et de l’Iran. Dépendant de ses protecteurs, la Syrie a été mise sous tutelle de Moscou et, plus encore, de Téhéran. Elle n’est plus un État souverain mais un pays satellite.
L’Iran a très largement avancé ses positions en Syrie. Il participe à la restauration de la capitale et est investi dans le pays. Ce sont les Iraniens, plus précisément les gardiens de la révolution, qui ont le poids politique le plus important à Damas. Le Hezbollah, malgré des pertes si importantes qu’elles l’ont poussé à interdire la plupart des enterrements publics au Liban, demeure impliqué dans la sauvegarde d’un gouvernement allié et fondamental à sa survie.
Poutine ne tirera de bénéfices de la prise d’Alep que si cette victoire militaire débouche sur une solution diplomatique. Peut-il la mettre en œuvre en laissant Bachar Al-Assad au pouvoir ? L’Iran le soutien plus fermement que la Russie, qui souhaite, elle, démontrer que le concept de « changement de régime » par l’extérieur prôné par les Occidentaux ne fonctionne pas.
Se dirige-t-on vers un partage du pouvoir entre des éléments du régime sans Bachar Al-Assad et toute l’opposition sans les djihadistes ? C’est la seule façon d’éviter une somalisation de la Syrie.
______________________________
[1] Aux échecs, se dit d’une position dans laquelle aucun des deux joueurs ne peut remporter la partie, qui est alors déclarée nulle.