Ancien ministre, Jean-Pierre Chevènement est Président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen, et président de la Fondation Res Publica. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Un défi de civilisation : la seule stratégie pour la France », aux éditions Fayard. Près de cinq-cents pages où il réfléchit aux motifs qui ont diminué le poids de la France dans le monde et le respect pour la République en France, et livre des pistes à suivre afin d’enrayer ces phénomènes.
Y-a-t-il un problème spécifique de l’islam en France ?
La France comptait en 2008, selon l’Institut national d’études démographiques (INED), 4,1 millions d’habitants se disant « musulmans » dans l’acception soit religieuse soit culturelle du terme. L’immense majorité a ses racines au Maghreb. Cette population est beaucoup mieux intégrée à la communauté nationale que partout ailleurs en Europe. D’abord, parce qu’une très grande majorité a partagé la même Histoire et partage aujourd’hui la citoyenneté française. Ensuite, parce que le modèle républicain fondé sur l’école exerce une fonction unificatrice. La critique faite à la laïcité comme contribuant à accroître les tensions me paraît superficielle. Cette critique méconnaît le sens profond de la laïcité et son rôle émancipateur en cristallisant sur le voile et la burqa. Cette critique, en fait, met en cause la République et son enracinement dans l’héritage des Lumières. Le modèle républicain, par l’ambition inscrite dans sa devise, et notamment par l’invocation de l’égalité, crée peut-être des frustrations – car il y a toujours un écart entre l’idéal et le réel -, mais les valeurs républicaines sont aussi une incitation à l’action publique. La spécificité de la France est que son modèle privilégie le commun et tend plutôt à décourager la communautarisation de la société. Mais l’islam, selon moi, peut fort bien s’en accommoder. On peut être citoyen ET musulman. C’est l’intérêt vital de notre pays que d’en faire la démonstration.
La France peut-elle peser plus que son poids dans les affaires mondiales ? Si oui, comment ?
Même si l’Europe, après deux guerres mondiales, a cessé d’être hégémonique, et même si le poids démographique de la France s’est beaucoup réduit depuis le XVIIIe siècle, elle peut toujours peser plus que son poids dans les affaires mondiales. Entre les États-Unis et la Chine qui domineront le XXIe siècle, elle est le pays européen le plus à même de faire avancer le projet d’une « Europe européenne », de l’Atlantique à la Russie, tel que l’avait déjà anticipé le général de Gaulle dans les années 1960. Le partenariat entre Paris, Berlin et Moscou doit s’organiser de manière à permettre aux pays européens de garder voix au chapitre. La France dispose encore de la gamme complète des moyens de la puissance, au plan diplomatique, militaire, économique et culturel. Elle ne doit pas s’en dessaisir. C’est la volonté politique persévérante des gouvernements successifs de donner vie à ce projet d’ « Europe européenne » qui fait le plus défaut. Mais de Gaulle, à gauche et à droite, redevient à la mode …
Qui a intérêt à ce que la France soit moins active sur la scène internationale ?
C’est de Gaulle qui, justement, rappelait qu’« un véritable État n’a pas d’amis ». Que la France devienne un musée ne gêne évidemment personne, et en particulier pas nos amis américains. Au contraire : c’est grâce à leurs dons généreux que le château de Versailles a pu être restauré. Mais si la France veut rétablir sa relation avec la Russie et y associer l’Allemagne et si elle veut conduire dans le monde arabo-musulman une politique de justice et de progrès, alors quelles levées de boucliers en perspective !
Pour répondre précisément à votre question : personne ne souhaite que la France soit active pour défendre son intérêt national, mais l’Humanité entière devrait souhaiter que la France s’active pour éviter le duopole étouffant de la Chine et des États-Unis sur les affaires mondiales et pour que soit relevé le défi de civilisation qui nous est jeté, afin de justement faire reculer l’idée d’un « choc des civilisations ».