Gaza : Donald Trump en soutien des extrémistes israéliens

« Il faut faire le ménage à Gaza. » Telle est la déclaration choc que vient de faire Donald Trump. Dans un premier temps, elle peut apparaitre comme du bon sens.  Effectivement, il faut faire le ménage à Gaza : tout y est détruit, il n’y a que des ruines, plus d’infrastructures. Mais il ne suffit pas de nettoyer, il faut aussi reconstruire. C’est là que les choses se compliquent. Car la manière dont Donald Trump souhaite « faire le ménage » implique un déplacement — qu’on pourra qualifier de « nettoyage ethnique » — des Palestiniens qui vivent à Gaza, vers la Jordanie et vers l’Égypte.

La logique apparente consiste à dire qu’en vue de la reconstruction, il faudrait que la population trouve refuge ailleurs puisque pour l’heure plus rien n’est vivable, il n’y a plus rien pour étudier, se soigner, se loger. Cependant, même si Donald Trump présente ce déplacement comme provisoire, on sait très bien qu’il risque d’être durable. L’exemple des Palestiniens partis ou expulsés en 1948 et qui ne sont jamais revenus en témoigne. Les Palestiniens craignent un nettoyage ethnique, consistant à vider Gaza de ses habitants afin qu’Israël n’ait plus de problème à cette frontière, voire pour qu’il puisse de nouveau coloniser la bande de Gaza. Ce n’est pas un hasard si Bezalel Smotrich, ministre d’extrême droite israélienne, a approuvé le plan de Donald Trump, tandis que les Jordaniens et les Égyptiens, sont pour leur part réticents. Les Palestiniens s’y opposent fermement.

Les Jordaniens et les Égyptiens s’y opposent notamment parce que plus de deux millions de Palestiniens vivent encore à Gaza, et qu’un afflux massif de réfugiés entraînerait de graves difficultés. Il faudrait en effet pouvoir les accueillir, leur trouver des logements, des structures de soins, d’éducation, etc. Ils ne veulent pas risquer de voir s’installer des camps de réfugiés susceptibles de devenir des foyers de contestation, ce qui menacerait leur sécurité. La Jordanie, dont deux tiers de la population sont d’origine palestinienne, refuse d’en accueillir davantage. Ainsi, malgré leur proximité avec les États-Unis et les accords de paix qu’ils ont signés avec Israël, ni le roi de Jordanie ni le président égyptien ne peuvent prendre un tel risque : accueillir des centaines de milliers de Palestiniens déstabiliserait leurs pays.

Dans le même temps, pour ceux qui sont actuellement au pouvoir en Israël — notamment les deux partis d’extrême droite, mais aussi le Premier ministre Netanyahou — l’idée de vider Gaza de ses habitants n’a rien de choquant, bien au contraire, surtout si c’est fait à la demande des États-Unis et si les pays arabes voisins finissent par l’accepter, de gré ou de force. Il pourrait donc y avoir une forte détermination en Israël pour que cela ait lieu. Ceux qui, en Israël, se préoccupent réellement du sort des Palestiniens sont très minoritaires.

Qui peut réellement s’opposer à ce projet ? Les premiers concernés sont les pays arabes, et un bras de fer se dessine entre Trump, qui peut faire poursuivre son avantage et faire pression sur l’Égypte et la Jordanie (pays lourdement dépendants des États-Unis économiquement et militairement). Les moyens de pression du président américain sont plus limités face à l’Arabie saoudite, dont les relations avec Washington sont plus équilibrées. Par ailleurs, entre le premier et le second mandat de Donald Trump, la situation a évolué : le prince héritier saoudien, MBS, autrefois très proche d’Israël, l’est moins aujourd’hui. Pour envisager un rapprochement avec Israël, dont il peut penser que c’est à l’avantage à long terme de son pays, il pose désormais comme condition la création d’un État palestinien, faute de quoi il redoute une déstabilisation au sein de sa propre opinion publique.

Les pays arabes feront-ils front commun pour dénoncer ce transfert de deux millions d’habitants ? Ils savent qu’ils risqueraient d’être très critiqués. L’Égypte isolée et la Jordanie isolée ne pourraient peut-être pas s’opposer à Donald Trump. Mais un ensemble de pays arabes, comprenant l’Arabie saoudite, pourrait peser davantage. Reste à savoir s’ils pourront maintenir leur unité et leur fermeté.

Comment réagiront les pays européens ? La plupart ont soutenu Israël de manière quasi inconditionnelle, non seulement après les événements du 7 octobre mais aussi par la suite, sans vraiment condamner les bombardements massifs sur Gaza. Beaucoup sont par ailleurs restés réticents envers le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale contre Benyamin Netanyahou. Ils se retrouvent donc face à une contradiction entre leurs principes (valeurs universelles, droits humains, etc.) et leur violation par Israël (occupation, bombardements civils, crimes de guerre). Une déportation massive de Palestiniens — un nettoyage ethnique à grande échelle — accroîtrait encore cette contradiction. Les Européens sont-ils prêts à faire front commun et à faire preuve de lucidité et de courage pour s’y opposer ? Pour l’heure, on n’en sait rien. Ceux qui ont intérêt à agir dans ce sens (Israël et les États-Unis) sont plus déterminés que ceux qui souhaiteraient empêcher un tel projet.

Ni la Russie ni la Chine n’auront réellement les moyens de s’opposer à un tel nettoyage ethnique, mais ils sauront en tirer profit en termes de communication et de propagande, notamment vis-à-vis du « Sud global ». Ils pointeront alors les contradictions des Occidentaux, notamment auprès des pays du Sud global, qui seront certainement les plus horrifiés par un tel scénario. Cela renforcera leur conviction que les Occidentaux font preuve d’hypocrisie et pratiquent un « double standard ». Le crédit des Occidentaux ne pourra qu’en être fortement entamé, y compris celui des Européens, s’ils ne s’opposent pas fermement à ce projet et s’ils restent prisonniers de leur volonté de ne pas critiquer Israël et de préserver leur alliance avec les États-Unis, ils seront mis en cause de façon globale par les pays du Sud.

Les enjeux sont énormes et Donald Trump, tel un bulldozer, semble prêt à tout piétiner sur son passage. Reste à voir s’il ira au bout de cette idée ou s’il ne s’agit que d’une provocation supplémentaire. Il faut néanmoins noter que certains, en Israël, considèrent ce plan comme tout à fait réaliste et le soutiennent très vivement.