Ironie de l’histoire, noblesse du calendrier… Alors que jeudi dernier je mettais en ligne une interview d’Anne Toulouse autour de son livre sur le wokisme et la Cancel Culture, j’en ai moi-même été victime à propos d’une table ronde qui devait avoir lieu dans le cadre du Festival du livre qui se tenait à Paris du 22 au 24 avril. J’ai été invité à participer à un débat sur les questions stratégiques avec Frédéric Encel et François Heisbourg. Mes désaccords avec eux sont connus, j’en ai parlé dans mon livre Les intellectuels faussaires. Parmi tous les arguments que j’avais mis en avant dans ce livre, aucun n’a d’ailleurs été démenti. Mais par principe, je n’ai jamais refusé aucun débat. Tout était prévu, le débat devait se tenir le vendredi 22 dans l’après-midi à l’École militaire. Jeudi, tard dans la soirée, j’apprends par mon éditrice que l’éditrice de Messieurs Heisbourg et Encel a téléphoné pour annuler la conférence parce que ces derniers ne voulaient pas débattre avec moi, et ce non pas, disait-elle, du fait de désaccords intellectuels, mais pour des questions d’ordre juridique. Si j’ai des procès en cours, je n’en ai aucun avec Monsieur Heisbourg ou avec Monsieur Encel. Il a même été ajouté que par décision de justice, il m’était interdit de m’approcher de Monsieur Encel, le type de décisions de justice prises à l’encontre de maris violents. Cet argument, qui ne tient pas la route, est parfaitement stupide. Si par décision de justice il m’était interdit de m’approcher de Monsieur Encel, je ne le ferais pas au vu et au su de tous dans le cadre très public du Festival du livre. Le simple fait d’afficher mon nom accolé au sien sur un programme aurait suffi pour que la police ou la Justice m’en empêche. Une argumentation proche du délire. Toujours est-il que face à leur volonté que le débat n’ait pas lieu, les organisateurs et mon éditrice ont tenu bon et la conférence a été maintenue en leur absence, étant décidé que je fasse le débat avec Monsieur Nicolas Baverez qui devait modérer l’échange.
Nouvelle surprise vendredi dans la journée : alors que j’étais à Paris 2024 pour une master class sur les questions géopolitiques, on m’annonce vers 13h30 que la conférence de l’après-midi a finalement été annulée. Lors d’un appel avec Monsieur Passé, directeur du Festival du livre, j’apprends que les personnes en cause ont émis des menaces en affirmant qu’il n’était pas normal que le débat ait lieu sans eux, et qu’il aurait dû être annulé du fait de leur absence, qu’il n’était pas question que je parle seul et que s’il en était ainsi, ils allaient faire venir des opposants et, je cite, qu’il y aurait « du grabuge ». Je doute fort qu’il puisse y avoir du « grabuge » au sein de l’École militaire, mais quoi qu’il en soit, Monsieur Passé a cédé à ces menaces et a préféré annuler la conférence et donc ma venue.
Certes, il n’y avait que 180 personnes inscrites pour cette conférence et je ne suis pas, de manière générale, en demande de conférence. Mais il s’agit là d’une question de principe. Quelles sont ces méthodes ? Comment peut-on proférer des menaces de désordre dans une salle pour empêcher la tenue d’une conférence ? Ce sont des méthodes à la limite du fascisme. Normalement, le débat contradictoire doit servir à exposer des points de vue différents et des désaccords. Mais dans le cas présent, il me parait pour le moins croquignolesque de se déballonner et de ne pas accepter le débat puis de proférer des menaces de désordre et de troubles, de « grabuge » pour reprendre le mot utilisé, pour que le débat n’ait pas lieu. J’invite tous ceux qui n’arrêtent pas de protester contre la Cancel Culture, déclarant qu’« on ne peut plus rien dire », à faire valoir leur point de vue sur cette situation. Est-il est normal de céder aux menaces ? Est-il normal que la menace d’incidents physiques puisse pousser à l’annulation d’une conférence ?
Je me remettrai de l’annulation de cet évènement. Mais les méthodes utilisées pour parvenir à cette annulation sont inqualifiables et le Festival du livre ne s’est pas grandi en cédant à celles-ci. Je pense qu’il est important de lutter contre cette forme de terrorisme intellectuel de plus en plus prégnante dans notre société, consistant non pas à contredire celui avec lequel on est en désaccord, mais à vouloir l’empêcher de s’exprimer. Parce que la véritable Cancel Culture est bien là.
Heureusement, grâce à vous, grâce au soutien de ceux qui me suivent sur les différents canaux où je m’exprime, je peux continuer à le faire. Je tiens cependant à m’excuser auprès des personnes qui devaient assister à cette conférence, certains s’étant certainement déplacés pour rien au vu du délai. Ils savent désormais que je ne suis en rien responsable de cette annulation.
Cet article est également disponible sur MediapartLeClub.