Interview de Pascal Boniface dans L’Express
L’affaire Peng Shuai n’est décidément pas terminée, au grand dam de Pékin. La WTA est particulièrement offensive sur le sujet. On a le sentiment que la Chine échoue à faire redescendre la pression…
Tant que Peng Shuai ne sera pas totalement libre de ses mouvements, pas uniquement qu’elle puisse s’exprimer sous contrôle, il est clair que cette pression se maintiendra. Le mouvement sportif s’est saisi de la disparition de la joueuse de manière très large et universelle. On imagine mal, désormais, la WTA ou les différents sportifs qui se sont exprimés comme le numéro 1 mondial masculin Novak Djokovic se taire.
D’ailleurs, la suspension provisoire de la WTA est extrêmement bien jouée en matière de communication. Elle met les principes d’abord. En conflit avec la Chine, la NBA avait quant à elle cédé la première. [L’un des présidents de club, celui de Houston, avait sur Twitter apporté publiquement son soutien aux manifestants de Hongkong, fin 2019. La Chine a boycotté pendant près d’un an la diffusion des matchs].
Toutes les instances ne semblent pas jouer le même jeu. Le CIO, le Comité international olympique, se retrouve accusé de complicité après avoir réalisé deux entretiens avec la joueuse.
Le CIO a une autre stratégie, car il dispose d’autres intérêts. C’est d’ailleurs un peu injuste de le présenter comme l’ami des dictatures. C’est vrai historiquement, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’organisation a notamment soutenu l’athlète biélorusse Kristina Timanovskaïa, menacée par le régime d’Alexandre Loukachenko pendant les Jeux olympiques de Tokyo.
La réalité, c’est qu’il est plus simple aujourd’hui de s’attaquer à la Biélorussie qu’à la Chine. Comme tout organisme officiel qui veut opérer sur le territoire chinois, il doit tenir compte des réalités chinoises. Le CIO a un aspect inter-gouvernemental. Ils ne peuvent pas monter à l’assaut aussi durement, prendre des positions militantes comme la WTA. Mais il est vrai que Thomas Bach (le président du CIO) en dialoguant avec Peng Shuai sous contrôle chinois, s’est rendu co-responsable de son sort.
Du fait de la pression de la WTA et du monde sportif, une résolution est-elle possible ?
Oui, l’affaire pèse trop pour le CIO et pour Pékin pour qu’ils ne trouvent pas une issue. Plus cette affaire dure, plus c’est dommageable pour leurs intérêts et leur visibilité. La Chine a intérêt à ce qu’on ne parle plus de cela d’ici le 4 février et le début de ses Jeux. Bien que le tennis n’y soit pas représenté [ils sont programmés aux JO d’été], il pourrait cette fois y prendre une place importante. Se pose, en plus, toujours la question du boycott diplomatique de cet évènement. Le président américain Joe Biden a d’ores et déjà dit qu’il n’irait pas. Maintenant, quelle sera l’attitude des autres chefs d’Etats occidentaux ?
À quoi pourrait ressembler la « libération » de Peng Shuai ?
Peng Shuai sera libre de ses mouvements, mais elle ne devra plus jamais évoquer le scandale sexuel publiquement. Une issue qui ressemblerait finalement à celle de Jack Ma, libéré, mais avec l’obligation de ne plus critiquer le régime. La Chine fait un geste et le CIO, de son côté, pourra dire qu’il a obtenu quelque chose de la part de la Chine.
Le monde du sport se mobilise, mais les diplomaties occidentales restent globalement muettes sur le sujet. L’affaire résonne pourtant avec le mouvement #MeToo… Cela dit-il aussi quelque chose sur la place prise par le sport dans la lutte pour les droits humains, contre le racisme, les inégalités ?
Pour les États, c’est vrai, mais d’un autre côté, des voix pourraient s’élever pour dénoncer l’importance prise par cette affaire face à un autre scandale comme celui des Ouïghours, par exemple. Ils peuvent donc prendre position mais pas en faire un leitmotiv. Puis, il ne faut pas oublier que certains gouvernements sont eux-mêmes gênés par des affaires liées au mouvement #MeToo.
Les sportifs, effectivement, sont devenus les citoyens du village global les plus connus, autour desquels il est le plus facile de mobiliser. La place du sport est de plus en plus importante, le sport n’est plus seulement un vecteur de mise en valeur d’un pays. C’est aussi devenu un vecteur de critique.
La Chine a-t-elle sous-estimé cet aspect ?
Très clairement. Jamais ils ne se sont doutés qu’une affaire au sein d’un sport individuel, plutôt joué par des pays riches, puisse créer un choc de cette envergure. Observer que des personnalités comme Serena Williams ou Novak Djokovic, qui ne prennent jamais de positions politiques tranchées, se mobilisent envers cette joueuse de tennis est très fort. C’est ce qu’a permis, à mon sens, cette triple rencontre inédite entre le monde du sport, du mouvement #MeToo et de l’épineuse question des droits humains en Chine.