Les États-Unis aiment à se présenter comme d’honnêtes courtiers (honest broker) entre les Palestiniens et les Israéliens – ou entre les Arabes et les Israéliens. Il est vrai que les accords de Camp David entre l’Égypte et Israël en 1977, ceux d’Oslo entre Palestiniens et Israéliens en 1993 ou plus récemment les Accords d’Abraham en 2020 ont été conclus avec leur parrainage.
Les États-Unis ont à de nombreuses reprises tenté d’établir des négociations entre Israéliens et Palestiniens. Mais ils ne sont pas tout à fait à équidistance des positions de chacun des camps. Ils ont toujours eu un tropisme pro-israélien affiché et souvent revendiqué. Pendant la guerre froide, Israël était l’allié du monde occidental quand la plupart des régimes arabes étaient plutôt liés à l’Union soviétique – comme l’Égypte jusqu’en 1975, la Syrie, la Libye ou l’Irak. Après la fin de la guerre froide, Israël a perdu de ce fait une partie de sa pertinence stratégique. Lorsqu’en 1990 le président Bush en a voulu se lancer dans la guerre du Golfe après l’invasion du Koweït par l’Irak, il a voulu bâtir une large coalition internationale. Il a promis aux pays arabes, pour obtenir leur soutien, de s’attaquer sérieusement à la question palestinienne une fois que le problème de Saddam Hussein serait réglé. Il a réellement fait des pressions sur Israël, menaçant de cesser de garantir les prêts accordés à l’État hébreu si la colonisation se poursuivait. Les électeurs israéliens ont eu peur d’une rupture avec Washington et ont amené Yitzhak Rabin au pouvoir. Des négociations entre protagonistes qui refusaient de se parler ont abouti aux accords d’Oslo. Mais Bush a perdu les élections en 1992. Il a été le dernier président américain qui a réellement exercé des pressions sur Israël. Depuis, les désaccords éventuels entre la Maison-Blanche et Tel-Aviv ont pu exister sans qu’elle ne suscite aucune réaction américaine.
Par la suite, même lorsqu’ils jouaient les intermédiaires, les Américains reprenaient plutôt les thèses israéliennes que l’inverse. Plusieurs éléments les lient : l’appartenance commune au monde occidental, le poids des chrétiens évangéliques aux États-Unis et une proximité culturelle entre nations qui estiment avoir un statut à part. La culpabilité par rapport à l’antisémitisme a également joué.
Après le 11 septembre 2001, il y eut une rapide interrogation aux États-Unis sur le fait de savoir si l’alliance inconditionnelle avec Israël n’était pas la source de l’impopularité des États-Unis dans le monde arabe. Cette interrogation s’est vite refermée au nom de la lutte commune contre le terrorisme.
La question est désormais de savoir si cette alliance stratégique continuera d’exister, quelle que soit l’attitude du gouvernement israélien. Et après les bombardements sur Gaza et les affrontements à Jérusalem, la question peut de nouveau être posée. Donald Trump a tout accepté de la part de Netanyahou. Joe Biden sera moins complaisant, mais il ne devrait pas remettre en cause cette alliance. Les événements récents ont cependant apporté l’ouverture d’un débat sur ce point aux États-Unis. Il y a un mois, la grande organisation Human Rights Watch qualifiait d’apartheid le sort réservé aux Palestiniens par Israël.
Par ailleurs, la communauté juive américaine prend ses distances avec Netanyahou, celui-ci était lié à Donald Trump alors que les juifs américains votent aux deux tiers pour les démocrates. De jeunes élus démocrates, à l’image d’Alexandra Ocasio-Cortez, critiquent publiquement l’attitude d’Israël. Joe Biden a même fait le 18 mai l’éloge public de Rashida Tlaib, Congress woman d’origine palestinienne qui avait pourtant critiqué le soutien américain à Israël. Le sénateur de Géorgie Jon Ossof, un jeune juif de 34 ans, a appelé à un cessez-le-feu. 28 sénateurs démocrates en ont fait de même alors que généralement les élus américains rejettent toutes les responsabilités sur les Palestiniens et soutiennent fortement Israël. Le Sénateur Menendez (New Jersey), d’ordinaire farouche partisan d’Israël, s’est dit très troublé par les bombardements. Mais si ces élus sont très visibles et très médiatiques, ils restent relativement isolés. La destruction de l’immeuble des médias où était située l’agence Associated Press a créé un choc aux États-Unis où tout ce qui concerne les médias est sacré. Il y a un début de campagne d’opposition à Israël sur les campus américains.
Les liens stratégiques unissant Washington et Tel-Aviv restent puissants. Mais un débat autrefois impossible commence à s’ouvrir aux États-Unis. Pour beaucoup, les arguments moraux qui amenaient à proclamer une solidarité infaillible avec Israël sur le dossier palestinien sont de moins en moins pertinents.
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