Yves de Saint-Do nous a quittés. Il était le proviseur du lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie où j’ai fait ma scolarité secondaire. Il représentait l’autorité, j’incarnais pour mes camarades et professeurs la contestation.
Il aurait pu sévir contre moi, les motifs n’auraient pas manqué. Il a su tracer des lignes assez larges, garantissant le respect des institutions tout en laissant une véritable liberté d’expression. Il était dans l’inclusion, pas dans l’exclusion, dans la compréhension, pas la condamnation. Il a préféré canaliser la fougue contestataire sans chercher à la briser. Je lui dois beaucoup même si à l’époque je n’ai pas tout à fait réalisé la dette que j’avais à son égard.
En classe de seconde, j’ai proposé de créer un journal lycéen. Il a accepté, me demandant à pouvoir relire les articles. J’ai refusé, donnais au journal le nom Le Censuré et publiais avec mes potes 6 numéros dans l’année. Le ton était assez moqueur, tant vis-à-vis des profs que de l’administration. Il n’a pas sévi, j’imagine qu’ailleurs j’aurais été déféré devant le conseil de discipline.
Je suis ensuite devenu président du foyer socio-éducatif du lycée. Pour les élections législatives de 1973, j’ai proposé d’organiser un débat avec les candidats de la circonscription. Il a accepté et cela s’est fait dans le réfectoire. L’année suivante, j’ai proposé d’organiser des concerts dans le lycée, il a également accepté que cela se fasse le soir toujours dans le réfectoire. Y sont venus successivement Gilles Servat, les Tri Yann et Joan Pau Verdier, tous dans une veine revendicative et politisée. C’était bien sûr le foyer qui assumait tout le risque financier, mais tout restait sous sa responsabilité et il a soutenu tous ces projets, car il était heureux de voir des lycéens prendre des initiatives et assumer des risques. À l’époque, l’association des parents d’élèves trouvait que cela bougeait un peu trop et s’opposait à nos projets. J’avais proposé de créer une association des enfants de parents d’élèves pour contrer ces vieux réacs, il ne les a pas suivis en tranchant en faveur de la confiance accordée aux lycéens.
Lorsque les lycées se sont mobilisés contre la loi Debré visant à supprimer les sursis pour études, il a su trouver le juste équilibre pour nous laisser nous exprimer en évitant tout débordement. Je ne lui ai pas rendu la vie facile, cela aurait été plus confortable pour lui de ne pas avoir un trublion comme moi, mais il n’a jamais usé de la répression (il n’y a jamais eu de violences).
Il pensait que cela faisait partie de sa mission éducative que de laisser aux lycéens prendre des initiatives tout en les canalisant. Il était par ailleurs un formidable chef d’équipe pour les profs, exerçant un leadership par la créativité et l’exemple et non par l’autoritarisme. Je me demande d’ailleurs si une telle attitude serait encore possible aujourd’hui ou si elle serait dénoncée comme un laxisme inacceptable.
Lorsque l’équipe pédagogique du lycée à fêter les 50 ans de l’établissement en 2010, il est venu de Clermont-Ferrand où il résidait pour me rejoindre à mon domicile. Nous avons fait la route ensemble jusqu’à Mantes-la-Jolie, évoquant le bon vieux temps, nos affrontements et notre complicité, passé une partie de l’après-midi au lycée avant de rentrer. Il a regardé chez moi un bout du match de la finale de rugby sans pouvoir assister à la fin du fait de l’heure de son train. Je lui ai annoncé au téléphone pour son plus grand plaisir que son équipe chérie de Clermont-Ferrand avait enfin gagné le titre après avoir tant de fois échoué en finale. Nous étions restés en contact téléphonique et épistolaire par la suite.
Yves de Saint-Do fait partie de ces éducateurs qui savent accompagner des adolescents à devenir adultes, empêcher que les révoltés deviennent des excités. Je lui dois énormément et lorsque je retourne au lycée Saint-Exupéry pour accompagner les élèves qui préparent le concours de Sciences-Po, c’est à lui que je pense ainsi qu’à deux professeurs qui ont été déterminants dans mon évolution, Jean-Marie Jacqueau et Claudine Laurent.
Ces enseignants sont avant tout des éducateurs. Leurs missions ne se résument pas à la transmission du savoir mais à accompagner des adolescents à devenir de citoyens actifs, responsables et ouverts aux autres. Ils les aident à grandir en acceptant le débat et même la contradiction. Je sais ce que je leur dois. Et la société sera bien avisée de mieux prendre en considération ces profs qui changent des vies. Ils sont des tuteurs qui vous font grandir sans vous étouffer et vous permettent de vous développer tant humainement qu’intellectuellement. Merci à eux.