Mon interview dans New Tank Sport ci-dessous :
N’avez-vous pas le sentiment que le sport a eu une importance particulière dans l’actualité depuis la diffusion en Europe de l’épidémie de coronavirus ?
Tout à fait. Il faut dire que le sport est devenu le symbole-même de la mondialisation avec des compétitions organisées à l’échelle de la planète, qui sont suivies dans le monde entier. On peut dire aujourd’hui qu’une compétition nationale est aussi une compétition internationale : le Championnat d’Angleterre de football est suivi dans le monde, les autres grands Championnats européens aussi, la Coupe d’Afrique des nations est très suivie en Europe, etc.
Nous ne sommes donc plus dans un confinement national : le sport et les grandes compétitions, des événements sportifs mondialisés comme l’Euro ou les JO, sont devenus les événements les plus fédérateurs, les plus symboliques et les plus représentatifs de la mondialisation.
Le fait qu’ils s’arrêtent est le symbole que tout est différent, que plus rien n’est comme avant. Pour prendre l’exemple des Jeux Olympiques, le seul moment où les JO n’ont pas eu lieu, c’était lors des Première (1916) et Deuxième guerres mondiales (1940 et 1944). Et si on revient en arrière, les compétitions sportives ont été interrompues quelques jours après les attentats du 11/09/2001, mais pas lors de la grande crise financière de 2008.
Donc la suspension ou l’annulation des grandes compétitions sportives comme Roland-Garros, la Ligue 1 ou la Ligue des champions, c’est du jamais vu qui frappe forcément les esprits des centaines de millions de personnes qui regardent habituellement ces événements. Les débats parlementaires sont moins suivis… L’arrêt des compétitions sportives frappe plus les esprits et les imaginations que n’importe quoi d’autre.
Que pensez-vous de l’attitude des organisateurs d’événements sportifs dans ce contexte ?
Il est toujours de bon ton de taper sur le milieu du sport qui est égoïste, qui ne pense qu’à lui, etc. Mais je crois qu’il faut rendre hommage aux différents responsables, de la NBA à la Ligue 1, de la Fédération Française de Football à l’UEFA, etc. : qu’il s’agisse de compétitions nationales ou internationales, avant toute injonction des pouvoirs politiques -exception faite peut-être des JO, mais nous y reviendrons-, les instances sportives ont volontairement repoussé des événements sans attendre d’en avoir reçu l’ordre. Alors que les sommes en jeu sont extrêmement élevées.
Dans cette situation, il faut bien sûr rendre hommage au corps médical, aux soignants, mais alors qu’on présente souvent le milieu sportif comme étant uniquement intéressé par l’argent, tourné sur lui-même et insensible au monde qui l’entoure, je crois qu’il est bon de souligner deux choses :
1.- Les instances ont fait leur travail en suspendant d’elles-mêmes des compétitions, malgré le risque économique encouru, en anticipant des décisions sanitaires.
2.- Le monde sportif se mobilise et fait preuve de solidarité. Soit via les instances, soit par les clubs ou les sportifs eux-mêmes, il apporte son soutien, une aide matérielle ou financière.
On peut donc dire que le monde du sport joue la carte de la solidarité et ne se montre pas égoïste.
Avant le confinement, il y a eu le sport à huis clos. Le « sport qui se regarde », par opposition au « sport qui se pratique », est-il fait pour être disputé à huis clos ? La Bundesliga ou la NBA, par exemple, envisagent de redémarrer à huis clos avant d’accueillir de nouveau du public…
Je dirais que faute de grives, on mange des merles. Il vaut mieux des compétitions à huis clos que pas de compétitions du tout. Ce n’est bien sûr pas la même ferveur : lorsqu’on regarde un match à la télévision, on sait bien qu’on regarde un spectacle dont font partie le bruit des tribunes, les chants des supporters, les tifos, etc. Une compétition à huis clos n’a pas la saveur d’une compétition normale, surtout celles qui habituellement entourées de ferveur : la différence n’est peut-être pas la même pour une compétition de natation et une de football.
Mais même à huis clos, la compétition continue : c’est mieux que la suspension totale ou l’annulation. Nous serons tous ravis de pouvoir retourner dans un stade qui vibre, mais hors pandémie, certains matches sont organisés à huis clos pour des raisons disciplinaires. Le pire serait quand même que la saison ne se termine pas, que les compteurs soient soudain arrêtés aux trois quarts de la compétition…
Si le huis clos est un moyen d’atteindre la fin de la compétition, je pense qu’il faut l’accepter, bon gré mal gré.
La pandémie de Covid-19 va-t-elle changer le regard du monde sur la Chine d’où est partie l’épidémie ? Donald Trump, le président des États-Unis, parle du « virus chinois »…
La première question, je crois, est : le coronavirus va-t-il avoir une influence sur la Chine elle-même ? Dans les débats auxquels j’ai participé au tout début de la crise, lorsque le virus n’était pas encore répandu dans le reste du monde, j’ai entendu beaucoup de gens affirmer que le coronavirus allait signer la fin de l’ascension de la Chine, que sa croissance qualifiée de « miraculeuse » n’était pas aussi saine que ça, que le virus allait marquer le glas des ambitions chinoises. Autant d’affirmations qui m’ont toujours laissé sceptique. Je crois que les gens qui ont peur de la Chine et qui disaient cela confondaient leurs désirs et la réalité.
Moi, depuis le début, je dis qu’il va y avoir un coup d’arrêt à la croissance chinoise, mais que c’est forcément provisoire. De toute façon, ce coup d’arrêt ne concerne pas que la Chine, puisque vu l’importance de ce pays dans l’économie mondialisée, quand la Chine s’enrhume, c’est le monde entier qui éternue. On voit bien que même les rivaux de la Chine, comme le Japon ou les États-Unis, ne peuvent pas se féliciter de l’arrêt de la croissance chinoise puisque cela les affecte directement.
De la même façon, si les États-Unis sont en récession, la Chine va en pâtir puisque le marché américain est un débouché énorme pour les produits chinois. Par ailleurs, concernant la Chine, il faut cesser d’avoir une vision uniquement occidentale des choses. Bien sûr, la Chine a un régime autoritaire, mais j’ai aussi entendu des gens dire que seul un pays dictatorial comme la Chine pouvait confiner ses habitants et leur imposer de ne pas sortir. On a pu constater depuis que, lorsque des raisons sanitaires l’exigent, d’autres pays peuvent le faire.
En outre, la Chine est en train de réussir l’opération « de communication » diront les uns, ou « de propagande » diront les autres : en tout cas, elle communique très fortement sur l’aide qu’elle apporte, sur une aide médicale à l’Italie par exemple, qui est le seul pays européen à avoir signé avec elle un accord bilatéral sur les « Routes de la soie. » Alors, bien sûr, c’est de la propagande, mais c’est de la propagande qui marche. Et il ne suffit pas de dénoncer la propagande pour qu’elle ne fonctionne pas.
On peut penser que l’aide que la Chine va apporter à l’Afrique par exemple, en Éthiopie ou ailleurs, et que le programme pharaonique des « Routes de la soie » va s’accompagner de « Routes de la soie sanitaires. »
Alors que ce virus est né en Chine, je pense que la Chine ne va pas sortir affaiblie de la crise. Dans le grand duel actuel Chine – États-Unis, l’image qu’une partie du monde va avoir, si on essaie de « désoccidentaliser » notre regard pour voir comment le monde est perçu ailleurs, l’Afrique par exemple va avoir l’image d’une Chine qui vient à son secours alors que les États-Unis se claquemurent et ne l’aident pas. Les choses changeront peut-être si un autre président est élu à la Maison Blanche en novembre 2020, mais en attendant, voilà la situation. C’est un constat dont ni je me félicite, ni que je déplore. La Chine en sortira donc renforcée, selon moi.
Concernant maintenant le Japon, il a dû admettre que les JO ne pourraient pas avoir lieu en 2020. Si on se souvient que c’est Tokyo qui devait déjà accueillir les Jeux en 1940, annulés à cause de la guerre, et que le relais de la flamme olympique devait débuter le 26/03/2020 à Fukushima, lieu de la catastrophe nucléaire de 2011, on a le sentiment d’un destin tragique…
Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, comptait faire des JO un triomphe à la fois national et personnel. Il comptait profiter du succès des Jeux, du fait que le Japon soit en centre du monde, pour demander une modification de la constitution qu’il réclame depuis longtemps, mais qui ne passe pas pour le moment. Il pensait aussi se présenter à un quatrième mandat (en fonction du 26/09/2006 au 26/09/2007 et depuis le 26/12/2012) et battre ainsi un record de longévité : tout ceci est légèrement compromis, d’autant qu’on a le sentiment que le report des JO -contrairement aux compétitions de football en Europe- n’a été acté qu’avec un fusil dans le dos, autant côté japonais que côté CIO.
Ceci dit, il faut tout de même rappelé que les JO de 1964 à Tokyo ont été un succès pour le Japon, ils ont été le symbole de l’entrée du pays dans la modernité. Deuxièmement, il ne s’agit aujourd’hui que d’un report. En 1940, ils n’ont pas eu lieu et n’ont évidemment pas été attribués ensuite au Japon (allié de l’Allemagne nazie). D’ailleurs, 1964 symbolise le retour du Japon dans la famille mondiale.
Si les JO peuvent être organisés en 2021, les dégâts seront limités. Il y a bien sûr un coût économique : j’ai lu qu’il pourrait s’élever à 3 milliards de dollars, ce qui représente quand même, si ce chiffre est exact, la moitié du coût des Jeux de 2024 à Paris ! C’est énorme. Mais le symbole des JO est trop fort pour le Japon et il peut compter sur le patriotisme et le sens du collectif qui sont très marqués.
Entre parenthèses, on remarque que les sociétés asiatiques ont réagi différemment face au coronavirus : ce n’est pas une question de dictature ou de démocratie, mais en Asie, le groupe est plus important que l’individu. C’est pour cela que la Corée du Sud et Taïwan, qui sont des démocraties enracinées avec des sociétés civiles extrêmement développées, ont vaincu le Covid-19 en prenant des mesures qui auraient pu être considérées comme liberticides.
Pour en revenir aux JO, on peut penser que le report va créer un sursaut national au Japon et que l’esprit de civisme, le sens de la discipline et le fait que le pays ne doit pas baisser la tête vont mobiliser la société nippone pour faire des Jeux 2021 réussis.
Pour terminer, quel sera le rôle du sport dans la sortie de crise ? La joie de revoir un match ou une course, le plaisir de retourner dans des gradins seront-ils importants pour clore le chapitre coronavirus sur toute la planète ?
En période de guerre, les compétitions s’arrêtent. Et le signe de la paix, c’est le fait qu’elles reprennent. Je crois qu’il y aura un effet « libération » avec la reprise des compétitions. Le sport sera même l’un des indicateurs majeurs du fait que la crise est finie : quand on pourra avoir des compétitions normales auxquelles on pourra assister, cela voudra bien dire que la crise est derrière nous. Les gens se précipiteront dans les stades, ce sera le retour à la normale.
Comme toujours dans les périodes de crise, ce qui est normal et qui tout à coup devient interdit ou inaccessible n’en aura que plus de saveur. Revoir des amis, aller au stade ensemble, commenter à l’infini une compétition, refaire le match, voir une rencontre dans un bar, en discuter à l’atelier ou au bureau le lendemain matin : tous ces plaisirs seront décuplés et constitueront un booster extrêmement important pour le moral des différentes nations. Le sport va avoir un rôle curatif très fort et symbolisera le fin de la crise. Les gens seront encore plus heureux de suivre et de commenter des compétitions sportives.
Comment fonctionne l’IRIS depuis le début de la période de confinement le 17/03/2020 ?
Nous sommes tous en télétravail. Forcément, nos colloques, tables rondes et tout ce qui est événementiel sont annulés.
En ce qui concerne la communication, nous maintenons une activité sur notre site internet grâce au télétravail et au service communication, nous continuons à fournir des analyses, je continue à alimenter ma chaîne YouTube, même avec des moyens techniques réduits.
Les études de recherches continuent, d’autant plus qu’il n’y a plus de déplacements ou d’événements.
Et enfin, en ce qui concerne la partie majeure qui est l’école, nous avons maintenu l’activité. Nous avons fermé bien sûr l’établissement et cela donne davantage de travail à la douzaine de personnes qui y est employée car il faut organiser l’enseignement à distance.
Je suis vraiment content de constater que toute l’équipe s’est mobilisée, les enseignants jouent le jeu : l’année se poursuit sous d’autres formes, mais avec les enseignements prévus. Nous avons 500 étudiants, 250 habituellement à distance et 250 qui sont normalement présents physiquement à l’Institut. L’expérience que nous avons de l’enseignement à distance a pu permettre de passer plus facilement à cette période avec 100 % de cours à distance.
Nous avons dû en revanche repousser les candidatures pour 2020-21. Nous attendons un peu, mais grosso modo, même s’il faut s’organiser différemment, notre activité est moins impacté que celle d’autres secteurs, à part l’événementiel. Notre prochain gros événement, c’est à Dijon le 16/05/2020 et j’espère que d’ici là, le confinement sera terminé et que les gens auront plaisir à se déplacer.