L’épidémie de Coronavirus a déjà fait près de 2 000 morts et continue à se répandre. Par son ampleur, les craintes et les réactions qu’elle suscite, elle n’est pas seulement une affaire médicale, elle prend une tournure géopolitique.
Comment expliquer la force des angoisses qu’elle a provoquées ? Les rumeurs les plus folles ont couru. On a vu des gens changer de direction dans la rue pour éviter de croiser des Chinois, de peur d’être contaminé, suggérant que tout Chinois était devenu contagieux. L’épidémie a provoqué des réactions tout à fait irrationnelles. Comme si l’humanité avait une mémoire collective de la peur de la grande peste du XIVe siècle qui avait, elle, réduit la population de l’Europe de 25 à 50 %. Elle était venue par bateaux commerciaux d’Asie, un tiers des Chinois en était mort. La grippe espagnole avait fait entre 50 et 100 millions de victimes entre 1918 et 1920. Les populations et les médias réagissent aujourd’hui comme si des épidémies de cette importance pouvait de nouveau frapper l’humanité.
Or, en s’intéressant aux grandes pandémies les plus récentes, on constate que les proportions ne sont plus du tout les mêmes. Le SRAS, lui aussi parti de Chine en 2003, a fait moins de 1 000 morts. L’épidémie d’Ebola en 2014 a fait 12 500 victimes. Les systèmes de santé sont aujourd’hui bien plus performants pour lutter contre les maladies.
Pourquoi cette épidémie de coronavirus fait-elle plus peur que celle de la grippe qui fait chaque année des milliers de morts sans susciter le même effet de panique ? En 2017, ce sont 60 000 Américains qui sont morts d’un virus de la grippe particulièrement actif. La particularité du coronavirus est qu’il s’agit d’une maladie nouvelle dont on connaît encore mal les modes de propagation. C’est comme cela que la peur de l’autre ressurgit.
A l’heure de la mondialisation, l’intensification et la rapidité des échanges, ainsi que les voyages, multiplient les risques de contamination. Mais le nombre de victimes des dernières pandémies devrait aussi faire réfléchir. S’ils ont été limités (mise à part l’épidémie de SIDA, qui a fait 32 millions de victimes depuis 1981), c’est entre autres grâce au travail de l’Organisation mondiale de la santé. Le multilatéralisme, dans sa forme la plus concrète, fonctionne. À l’heure où il est de bon ton de critiquer les institutions internationales en général, et l’ONU en particulier, on constate que l’OMS – qui est une institution spécialisée de l’ONU – a bien rempli sa mission. La gestion à l’échelle globale de l’épidémie montre qu’elle n’est pas utile, mais indispensable. Sans elle, le bilan serait déjà beaucoup plus lourd. Sans elle, le SRAS et Ebola auraient tué bien plus de personnes. Une fois de plus, il est prouvé que face à une menace globale, seule une réponse multilatérale peut être à la hauteur. Il est regrettable que ce constat, accepté au niveau fonctionnel et médical, ne le soit pas au niveau stratégique.
On se demande également si cette épidémie ne va pas stopper l’ascension de la Chine, qui semblait jusqu’ici irrésistible ? Ceux qui parient sur une telle tendance pourraient en être pour leurs frais. Déjà lors de l’épidémie de SRAS, certains avaient émis l’idée que la Chine ne s’en relèverait pas. Elle a marqué un ralentissement provisoire avant de reprendre son rythme infernal vers la croissance. Elle représentait en 2003 4% du PIB mondial. Elle en représente aujourd’hui 17 %. Cela veut dire entre autres qu’une crise chinoise affecterait l’ensemble de l’économie mondiale. La Chine a représenté à elle seule 70 % de la croissance économique mondiale l’an dernier. Le Japon et les États-Unis craignent déjà d’être affectés eux aussi par un ralentissement de l’économie chinoise. Donc même les pays qui ont des relations compliquées, pour ne pas dire de rivalité avec Pékin, ne peuvent se réjouir de voir la Chine en panne, car cela à des conséquences négatives directes sur eux. La Chine devrait ralentir sa croissance cette année pour probablement la reprendre très vite.
On peut dire qu’aujourd’hui, lorsque la Chine attrape un rhume, c’est le monde entier qui éternue.
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