Comment analysez-vous les soulèvements populaires en cours dans plusieurs pays arabes ?
Il s’agit non seulement d’un mouvement général dans les pays arabes mais plus largement à l’échelle mondiale, puisqu’on pourrait également faire référence à ce qui se passe actuellement à Hong Kong, au Chili ou ce qui s’est produit au Soudan.
Nous vivons dans un monde globalisé où les réseaux sociaux permettent une mobilisation rapide et puissante.
Et dans ces trois pays arabes (Algérie, Liban, Irak), comme dans d’autres pays, les populations mécontentes du système politique se mobilisent pour exprimer de façon à la fois puissante et informelle leur mécontentement.
D’aucuns estiment que c’est le deuxième “printemps arabe”. Pensez-vous qu’il s’agit là d’une suite logique des mouvements populaires qui ont ébranlé la région en 2011 ?
C’est effectivement sans doute l’épisode “deux” de ce que l’on a appelé le “printemps arabe”. Les mêmes causes produisent les mêmes effets : les populations informées des réalités internationales et nationales contestent leur gouvernement, qui ont tous perdu le monopole de l’information qu’ils avaient avant la globalisation et l’apparition des réseaux sociaux.
Sauf que les printemps arabes ont débouché sur de fortes répressions en Syrie, en Égypte et au Yémen. Il y a une réactivation de la contestation après une pause, créée en grande partie par l’effroi de la sanglante répression des mouvements populaires.
En Irak et au Liban, les mouvements populaires exigent une rupture avec les pratiques de partage du pouvoir, habituellement articulé autour des structures religieuses et communautaires propres à ces pays. Comment analysez-vous cette donne somme toute nouvelle ?
Les populations ont effectivement pris conscience que les divisions ethniques et religieuses n’avaient que pour but, ou du moins pour effet, de ne pas faire aboutir leurs revendications de meilleure gouvernance tout en offrant des rentes de situation à des leaders avant tout soucieux de préserver leurs propres avantages. La remise en cause des hiérarchies religieuses est due à la capacité d’avoir une vision plus globale des situations et de ne pas (ou plus) prendre pour argent comptant les anciennes justifications d’un pouvoir incapable de donner aux populations ce qu’elles revendiquent et méritent.
Quelle sera à moyen et long termes la portée politique de ces soulèvements ? Doit-on s’attendre à des mutations profondes dans la région ?
Il est difficile de savoir sur quel résultat tout ceci va déboucher. Les pouvoirs en place essaient au maximum de maintenir leurs avantages et leurs positions, alors que les populations essaient au maximum de les anéantir. Le problème est que si les mobilisations sont puissantes, leur nature n’a pas permis de déboucher sur l’existence de leader incontesté et représentatif qui puisse parler sur un pied d’égalité avec les pouvoirs. C’est à la fois la force et la faiblesse de ces mouvements, leur caractère spontané n’a pas permis de déboucher sur l’existence de leader représentatif.
L’Occident, tout comme les pouvoirs en place dans les pays en proie à ces mouvements, a été surpris par ces soulèvements. Comment d’abord perçoit-il ces mouvements d’ampleur et, ensuite, quels seront selon vous les futurs rapports de l’Occident avec ces pays ?
Les pays occidentaux, pas plus que les régimes du Sud n’ont vu et anticipé l’émergence de ces mouvements. Ils sont pris de court, étant d’ailleurs eux-mêmes pour la plupart en crise de légitimité par rapport aux mouvements de contestation internes. Partout dans le monde, les populations se montrent plus exigeantes avec leurs gouvernements.
Entretien réalisé par Karim Benamar