À propos de « IA : la plus grande mutation de l’histoire » de Kai-Fu Lee

Né à Taïwan, Kai-Fu Lee a étudié aux États-Unis puis travaillé dans la Silicon Valley pour Apple et Microsoft avant de diriger Google China. En 2009, il décide de fonder sa société de capital-risque Sinovation Ventures. Il est l’un des meilleurs spécialistes mondiaux de l’intelligence artificielle (IA). Auteur de nombreux best-seller, conférencier de haut vol, il vient de publier un essai saisissant « IA, la plus grande mutation de l’histoire » (aux éditions Les Arènes).

Il fait dans cet ouvrage deux constats principaux : 1/ La Chine va gagner la bataille de l’IA ; 2/ Le développement de l’IA va conduire à une crise mondiale.

Kai Fu Lee en est persuadé : la bataille mondiale pour la maîtrise de l’IA va être gagnée par la Chine. Cette dernière a connu « son moment Sputnik » lorsqu’Alpha Go, programme informatique capable de jouer au jeu de Go et basé sur l’IA, a battu le champion du monde chinois de Go Ke Jie en mai 2017. À l’image des États-Unis en 1957 écoutant les « bip, bip » du Sputnik soviétique, les Chinois ont pris conscience de leur retard sur les États-Unis. Et comme ces derniers, qui se sont après 1957 lancés dans la conquête spatiale avec un indéniable succès, la Chine se lance et va gagner la guerre de l’IA. S’il est certain que l’Occident a allumé le brasier du deep learning, la Chine, elle, va accaparer l’essentiel de sa valeur.

Les atouts de la Chine sont une profusion de données, des entrepreneurs insatiables, des chercheurs en intelligence artificielle et un environnement politique favorable à ce secteur.

L’internet chinois a développé un secteur d’innovation de façon purement verticale. Voilà qui heurte de front l’orthodoxie de la Silicon Valley. Il existe par ailleurs une certaine docilité des utilisateurs chinois quant à l’usage de leurs données.

Le modèle économique chinois exige des dépenses folles et des légions de livreurs sous-payés. C’est parce que ce qu’elle se prête de bonne grâce à toutes ces corvées que la Chine s’apprête à dominer ses concurrents. Promptes à s’aventurer dans les aspects les moins plaisants de leurs activités, ces entreprises transforment le pays en
un paradis de données numériques. Pour les États-Unis, des centres d’innovation et un incubateur financés par l’État reviendraient à gaspiller l’argent des contribuables. Pour les acteurs les plus puissants de la Silicon Valley, l’État n’est jamais aussi utile que lorsqu’il les laisse en paix. Le plan chinois pour l’intelligence artificielle a été conçu au plus haut niveau de l’État, mais la véritable action se déroule à l’échelon local, sous la houlette d’une multitude de maires et d’élus déployant toute leur énergie sous forme de subventions de zones de développement prioritaire et d’incubateurs.

Le nombre de smartphones en Chine est passé de 233 millions en 2009 à 500 millions en 2013 et à 753 millions fin 2017. En 1998, quand Google a été créé, la proportion de la population chinoise ayant accès à Internet n’était que 0,2 % contre 30 % des Américains. On voit l’ampleur et la vitesse de rattrapage et de dépassement.

Beaucoup d’entrepreneurs high-tech chinois sont les produits de la politique de l’enfant unique et portent sur leurs épaules les espoirs de la vie meilleure de toute une famille (les deux parents et les quatre grands-parents). Quand ils étaient petits, on ne leur parlait pas de changer le monde, mais de survie. Ils sont donc ultra-déterminés.

Pour l’auteur, l’organisation mondiale engendrée par l’intelligence artificielle va combiner deux traits majeurs : une économie où le vainqueur ne laisse aucun concurrent debout et une concentration des richesses sans précédent dans les coffres d’une poignée d’entreprises chinoises et américaines. Chômage généralisé, inégalités criantes, désordres sociaux et crise politique sont donc à prévoir.

Les sept géants de l’intelligence artificielle et une majorité écrasante des ingénieurs les plus doués se concentrent aux États-Unis et en Chine. Plus les acteurs accumulent de données, plus il devient difficile à des concurrents d’autres pays, quels qu’ils soient, de rivaliser. Ce processus risque de creuser un abîme entre les riches et les pauvres de l’intelligence artificielle.

Les gains générés par les TIC ont été empochés par les 1 % les plus riches tout en provoquant une stagnation de la classe moyenne et une baisse des revenus concernant les plus pauvres.

L’intelligence artificielle sera techniquement en mesure de remplacer 40 à 50 % des emplois aux États-Unis d’ici 15 ans.

Autrefois, les pays pauvres étaient intégrés dans la mondialisation grâce à leur main-d’œuvre bon marché. La marée des jeunes travailleurs qui représentait la principale force de ces États va devenir un handicap, car inemployable. Il va donc se créer une immense masse d’individus incapables de trouver un emploi productif.

Les lois anti-monopole pourront-elles empêcher cela en matière d’intelligence artificielle ? Les monopoles sont plutôt synonymes de meilleurs services à un meilleur prix et dans la lutte contre les monopoles, le plaignant est tenu de prouver que le monopole nuit réellement aux consommateurs.

L’auteur fait un pari – audacieux – sur une prise de conscience des entrepreneurs de la Silicon Valley. Ils savent, selon lui, parfaitement qu’ils deviendront les cibles privilégiées de la vindicte publique si la situation tourne mal. Ne sont-ils pas assis sur des milliards de dollars ? N’ont-ils pas une lourde responsabilité dans les bouleversements économiques qui se préparent ?

Aussi, Kai Fu Lee fait un autre pari pour adoucir les effets négatifs de l’IA, voire même espère-t-il les éliminer. Il s’agit de construire notre avenir commun en tant qu’individu, pays et communauté mondiale : tenter d’associer la capacité de l’intelligence artificielle, la pensée et la capacité des humains à aimer. Si nous parvenons à créer cette synergie, écrit-il, nous serons en mesure de générer de la prospérité grâce au pouvoir de l’intelligence artificielle, tout en restant connectés à notre humanité profonde. Plaidant contre le revenu universel, mais pour une allocation d’investissement sociale, Kai Fu Lee croit que les activités socialement bénéfiques pourraient être financées comme des activités économiquement productives le sont maintenant. Une conclusion (très ?) optimiste pour un livre plutôt alarmiste, mais qui donne à réfléchir.

 

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