Les mouvements de révolte se multiplient. Coïncidence ou effet de contagion?
Il ne faut pas tout mettre dans le même sac car il y a des références nationales différentes. Mais il y a des éléments communs entre ces mouvements: la mobilisation par les réseaux sociaux, l’absence de leader – sauf en Catalogne – ou encore un sentiment de révolte car on ne se sent pas reconnu par le pouvoir et car on fait face à un déclassement lié à la globalisation.
Ces derniers mois et semaines, le phénomène de contagion s’est tout de même accéléré.
Oui, le temps devient de plus en plus court et la réactivité de plus en plus grande. La globalisation est un formidable facteur de contraction du temps et de l’espace, et les réseaux sociaux en sont un facteur d’hyper-concentration.
On observe souvent le recours par les manifestants à leur drapeau national. Ces mouvements répondent-ils donc vraiment à une tendance mondiale?
J’ai été frappé de voir tous ces drapeaux, notamment au Liban ou en Algérie. Le constat est clair: la mondialisation n’est pas incompatible avec le nationalisme. C’est aussi un moyen pour ces mouvements de contrer les accusations des autorités qui les dépeignent comme des agents de l’étranger.
Les événements en Algérie répondent plutôt à une logique politique. Au Chili ou au Liban, il s’agit de griefs plus économiques. Quel est le point commun?
Dans tous les cas, il y a une révolte contre un pouvoir accusé d’être inefficace, accapareur de richesses et insensible aux inégalités et aux injustices.
Ces inégalités se renforcent-elles vraiment ou sont-elles devenues plus visibles avec les réseaux sociaux?
La réponse est double. On sait très bien que les richesses ont augmenté du fait de la globalisation et que, depuis la fin de la crise financière il y a dix ans, cette tendance à la hausse a repris. Mais les inégalités ont augmenté simultanément de façon très visible. Ces faits sont perçus par des populations de plus en plus éduquées et informées. Il y a donc un double effet: les inégalités croissent et cette réalité est de plus en plus connue et perçue.
Ces mouvements touchent pourtant des pays qui ne figurent pas parmi les plus pauvres de la planète.
Cela s’explique par le fait que les classes moyennes sont toujours les éléments moteurs d’une révolte. Elles voient que leur statut économique stagne ou risque de se dégrader. J’ajoute à ce titre que Hongkong est un cas à part, car il s’agit là pour les manifestants de ne pas perdre des libertés politiques.
Pourquoi les autorités semblent-elles souvent incapables de sortir de l’impasse?
Parce qu’elles ne pensent qu’à elles-mêmes. Prenez le Liban ou l’Algérie où tout est parfaitement clanique et vise à la conservation du pouvoir à tout prix. Au Chili, où il y a une insensibilité totale du président Piñera à la question sociale. A Hongkong, où Carrie Lam se montre incapable de prendre en compte les revendications de la population.
Ces crises dans des pays de niveau «intermédiaire» en termes de développement économique peuvent-elles se transposer à l’Europe?
C’était déjà le cas avec la crise des «gilets jaunes». Toute situation liée à la crainte d’un déclassement fait courir ce genre de risque. L’Europe du Nord est moins menacée car les écarts entre dirigeants et population y sont moins grands. Ailleurs, ceux qui réussissent sont ceux qui donnent une fausse image de proximité. Donald Trump, Matteo Salvini ou Boris Johnson ne sont pas proches du peuple, mais ils le prétendent et en tirent avantage par rapport à leurs adversaires politiques.
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