Sur la scène internationale, la France a-t-elle perdu de sa grandeur ?
Non, il n’y a pas eu de déclin de la France sur la scène internationale. En réalité, les autres pays se sont réveillés et ont gagné en importance, alors que la France
n’a pas autant progressé. Il va de soi qu’elle n’est plus la première puissance mondiale comme du temps de Louis XIV ou de Napoléon. Depuis la fin de la guerre froide et depuis l’émergence d’autres pays, elle a perdu – demanière relative – par rapport aux autres. Prenons l’exemple du PIB chinois, dans les années 1990, le PIB français était supérieur alors qu’il est actuellement très nettement inférieur. Mais tous les pays n’ont pas la croissance de la Chine.
Qu’est-ce qui a accéléré cette perte de vitesse ces dernières décennies ?
La progression de pays émergents, à commencer par la montée en puissance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), ne frappe pas que la France, mais l’ensemble des pays occidentaux qui régissaient le monde jusque dans les années 1990. Partout dans le monde, on observe des pays qui ont rattrapé les pays occidentaux et qui ont connu un développement économique important. Pensez à l’Indonésie, la Malaisie, le Nigeria…
La France a reculé de quelques places, mais a-t-elle perdu en influence ?
Ne nous y trompons pas, la France reste un pays qui compte aux yeux des autres États. Elle n’est plus la première puissance mondiale, mais elle reste une puissance globale légitime pour s’exprimer sur la plupart des sujets financiers, économiques,militaires, environnementaux ou culturels. Elle garde de nombreux atouts, tels que sa place permanente au Conseil de sécurité de l’Onu, sa force nucléaire, son armée, son rayonnement culturel et une économie qui reste la 6e mondiale.
Face à la montée en puissance de nouveaux pays, comment la France pourra-telle
maintenir son rôle ?
La France doit garder sa spécificité et sa singularité sur le plan diplomatique. Sa voix singulière, c’est celle du multilatéralisme! Elle ne doit aucunement céder à la tentation de décrocher la médaille de meilleur allié des États-Unis, ce qu’elle a en partie fait en réintégrant l’Otan par exemple. Le fait que Trump apporte des défis particuliers au multilatéralisme, c’est l’occasion pour la France de faire entendre sa différence en se faisant le champion du multilatéralisme, actuellement en crise profonde. Elle ne peut y parvenir qu’en défendant une politique qui ne soit pas seulement celle de ses propres intérêts, sinon personne ne la suivra. La France était d’ailleurs extrêmement populaire lorsqu’elle s’était opposée à la guerre en Irak en 2003. Face à une puissance brutale, elle semblait y défendre l’intérêt général et non un intérêt égoïste. Mais elle n’a pas pu empêcher la guerre d’avoir lieu… Oui, mais elle a tenu tête aux États-Unis et elle a indiqué qu’une autre voie était possible. Mais surtout, elle est parvenue à démontrer que ce n’était pas une guerre de civilisation qui réunissait tous les pays occidentaux dans une sorte de guerre contre l’Islam. Actuellement, le principal défi, c’est de s’opposer à la négation du multilatéralisme de Trump qui tente d’imposer sa loi à tous ses partenaires internationaux. Là, le président Macron est à la croisée des chemins, car il s’est opposé à Donald Trump sur certains dossiers sans parvenir à le faire changer d’avis. La France doit choisir : rentrer dans le rang ou s’opposer concrètement aux États-Unis.
Vous sous-entendez que la France pourrait profiter de l’isolement de Trump ?
Face à Trump, il y a un espace qui se crée pour jouer un rôle important en matière de multilatéralisme, un peu comme lors de la guerre froide, lorsqu’elle parvenait à dialoguer tant avec les États-Unis qu’avec l’URSS. Cela dit, cela ne peut rester verbal, il faut que cela se traduise dans des mesures concrètes.
Sur le plan européen, l’axe franco-allemand reste-t-il majeur?
Il est encore majeur, mais il est clairement moins solide et moins fort qu’auparavant. Il reste majeur, car il est indispensable que les Français et Allemands s’entendent sur les grandes lignes. Mais la santé économique des deux pays étant fort différente, il y a de plus en plus de divergences entre les deux puissances, notamment sur des questions commerciales, budgétaires et d’emplois. Puis cet axe est logiquement moins fort dans une Europe à vingt-huit que dans une Europe à six ou à douze États membres.
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