Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis n’ont jamais été de fervents adeptes du multilatéralisme. Mais, avec Donald Trump, on change de dimension. Beaucoup des élites américaines ont cru ou croient à l’existence d’un monde unipolaire.
Leur puissance exceptionnelle, la foi en leur destinée historique et le sentiment largement partagé qu’ils ont pour mission d’exporter des valeurs qu’ils croient « supérieures » ne les y conduisent guère. Bien sûr, il y a des nuances, Bill Clinton et Barack Obama furent des présidents plus multilatéralistes (ou moins unilatéraliste) contrairement à George W. Bush. C’est un président considéré comme multilatéraliste, Bill Clinton, qui a pu déclarer que les États-Unis étaient la « seule Nation indispensable ». L’unilatéralisme américain n’a donc pas démarré avec le 11 septembre 2001, pas plus qu’avec D. Trump. Il est le fondement de la politique extérieure américaine. Il est inscrit dans leur ADN stratégique, dans la conception qu’ils ont d’être une Nation en tout point exceptionnelle. B. Obama l’avait réduit sans pour autant l’éliminer.
Mais, Donald Trump le pousse à son paroxysme. En fait, son slogan America first cache mal sa volonté d’America only. Le problème n’est pas tant qu’il soit en désaccord avec les autres nations et qu’il souhaite agir unilatéralement. Le problème est de vouloir sanctionner ceux qui sont en désaccord avec lui. Selon lui, seuls les Américains auraient le droit de fixer les règles internationales, qu’il s’agisse d’économie ou de sécurité. Les autres pays « seraient en tort d’être en désaccord » et prendraient le risque d’être sanctionnés. Il en fut ainsi avec l’accord sur le nucléaire iranien signé en juillet 2015 à Vienne, patiemment négocié pendant plus de douze ans entre les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne et approuvé par la majorité des autres nations, que les États-Unis ont unilatéralement brisé. De surcroît, ces derniers s’estiment légitimes à punir ceux qui voudraient continuer à l’appliquer, notamment en commerçant avec l’Iran. Ils se sont également arrogé le droit de dénoncer l’accord signé en décembre 2015 à Paris sur le réchauffement climatique, alors qu’il existe un consensus presque absolu entre responsables politiques et experts scientifiques pour expliquer qu’il s’agit du principal défi actuel posé à l’humanité. Les États-Unis traitent leurs alliés de l’OTAN comme des subordonnés.
Tous les chefs d’État et de gouvernement défendent leur pays lorsqu’ils candidatent à l’organisation d’événements sportifs mondialisés, qu’il s’agisse des Jeux olympiques ou de la Coupe du monde de football. Mais, D. Trump, lui, a menacé de sanctions les pays qui ne voteraient pas en faveur des États-Unis pour l’organisation de la Coupe du monde 2026. Une grande première dans l’histoire de l’attribution des grandes compétitions sportives. Les États-Unis décident et les autres doivent s’aligner sans rechigner.
John Bolton, conseiller de D. Trump à la Sécurité nationale, a tenu des propos faisant office de véritable déclaration de guerre à la Cour pénale internationale (CPI), et donc au droit international : « Si la Cour s’en prend à nous, nous n’allons pas rester silencieux. Nous allons interdire à ses juges et procureurs l’entrée aux États-Unis. Nous allons prendre des sanctions contre leurs avoirs dans le système financier américain et nous allons engager des poursuites contre eux dans notre système judiciaire. Nous ferons la même chose pour toute entreprise ou tout État qui assiste une enquête de la CPI sur les États-Unis, et nous prendrons note si des pays coopèrent avec les enquêtes de la CPI sur les États-Unis et leurs alliés »[1]. C’est tout simplement l’affirmation que les États-Unis ont tous les droits quand les autres États n’en ont aucun. C’est le cow-boy dans la réserve d’Indiens. Aucune loi n’est au-dessus d’eux et personne ne peut les juger. De quel droit ? Il y a un véritable antagonisme entre la vision, non seulement européenne, mais également de nombreux États d’autres parties du monde, et les États-Unis. Ces derniers peuvent-ils encore parler de valeurs communes et occidentales ? Qu’aurait-on dit si des dirigeants russes ou chinois avaient tenu de tels propos ?
En 1968, lors de l’intervention des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, Léonid Brejnev avait développé le concept de « souveraineté limitée », oxymore qui venait masquer la réalité. Aucun pays du pacte de Varsovie ne pouvait exercer de droits souverains contraires à la politique définie par l’Union soviétique. D. Trump est en train de réinventer, notamment à l’intérieur du monde occidental, ce concept.
[1] Le Monde, 13/09/2018.
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