Ayant quasiment perdu son assise territoriale, Daech demeure une menace pour les pays européens. L’organisation terroriste pourrait même être tentée de masquer ses déboires au Levant et de prouver le maintien de sa vitalité par des attentats sur le territoire européen.
« Cet attrait pour l’Europe vient du fait que toute attaque qui y est menée, même ratée, bénéficie d’exposition médiatique maximale et provoque des réactions politiques et de l’anxiété dans l’opinion », rappelle Richard Barret ancien chef du contre-espionnage au MI 6[1]. Cette déclaration devrait tous nous interpeller. Bien sûr qu’il est important de rendre compte des attentats, mais ne serait-il pas plus raisonnable d’éviter de leur conférer une importance démesurée, d’autant plus si celle-ci sert les intérêts des organisations terroristes ?
Depuis plusieurs années, je suis convaincu du caractère contreproductif de l’importance démesurée accordée au terrorisme dans les commentaires politiques ou médiatiques. Nous tombons dans le piège qui nous est dressé, en montrant aux terroristes qu’ils nous terrorisent, en offrant à leurs actions la visibilité recherchée. Nous contribuons à nourrir un phénomène que nous prétendons combattre et nous suscitons par ailleurs des vocations chez certains esprits dérangés.
Les terroristes cherchent en premier lieu à marquer les esprits. Nous entrons ainsi dans leur jeu en offrant à leurs actes une si grande publicité et en en faisant l’alpha et l’oméga des préoccupations. Or, dès qu’on avance cette analyse, certains en concluent un manque de fermeté face au terrorisme, voire d’en être le complice objectif. C’est tout à fait le contraire.
Lorsqu’on souligne le fait que le terrorisme suscite moins de victimes que d’autres phénomènes, contre lesquels nous sommes moins mobilisés, on est régulièrement accusé d’être passif ou complice.
« Au début du XXIe siècle, l’être humain risque plus de mourir d’un excès de MacDo que d’un attentat d’Al-Qaida. »
Si j’avais été l’auteur de cette phrase, je me serais fait incendier. On m’aurait reproché de nier le danger terroriste et de tomber le masque de mon « islamogauchisme ». Ce propos volontairement provocateur comparant les risques pour l’humanité du terrorisme et de l’obésité est en fait issu de la plume de l’Israélien Yuval Noah Hariri, dans son magistral ouvrage Homo Deus. Personne n’a été lui reprocher d’être dans le déni face au danger terroriste, pourtant encore plus prégnant dans son pays que le mien.
Les responsables politiques expliquent devoir tenir compte des préoccupations du public et les médias que le sujet intéresse ce dernier au plus haut point. Effectivement, après un attentat, les audiences sont au maximum. Mais n’est-ce pas un cercle vicieux dans lequel l’attention du public, et de ce fait des responsables politiques, augmente avec l’écho conféré ? Lorsque vous interrogez les responsables des médias sur ce point, ils disent répondre à une demande du public. Lorsque vous interpellez des responsables politiques, tous bords confondus, ils expliquent que leurs électeurs ne comprendraient pas qu’il n’en fasse pas une priorité, qu’il est politiquement invendable de vouloir réduire la couverture accordée aux attentats.
Certains responsables politiques instrumentalisent le sujet par des déclarations à l’emporte-pièce ayant pour objet de mettre en cause les gouvernements en place, quels qu’ils soient. Chacun peut à bon compte s’offrir son quart d’heure de gloire, proposant tout et n’importe quoi, à condition de marquer les esprits et sans avoir réfléchi au réel impact que cela pourrait avoir dans la lutte contre le terrorisme. Ils ne réalisent pas qu’ils jouent une partition qui enchante les terroristes.
Et que dire de certains « experts » qui se précipitent sur les plateaux télévisuels afin de combler un vide et, surtout, de faire leur autopromotion ? Le terrorisme est sans doute le phénomène qui suscite le plus l’apparition d’experts bidon et dont la réelle spécialité est de jouer sur les peurs et fantasmes, et là aussi conforter – tout en dénonçant – l’agenda des djihadistes.
Il serait plus qu’utile d’asseoir autour d’une table responsables politiques, journalistes et experts, afin de réfléchir en commun à la meilleure façon d’aborder la question du terrorisme islamiste dans les médias, guidé par le devoir d’informer (et de susciter la réflexion), sans tomber dans des surenchères sensationnalistes. Mieux combattre ce phénomène, qui nous menace tous individuellement, sans en faire une menace existentielle pour nos sociétés, est la seule réponse raisonnée et réfléchie.
[1] Le Monde, 16 juin 2018.
Cet article est également disponible sur Mediapart Le Club.