Le premier enjeu est d’abord sportif ; il ne faudrait pas l’oublier. L’Euro est avant tout une compétition sportive. L’équipe de France et les Français souhaitent donc que les Bleus aillent le plus loin dans la compétition, et pourquoi pas la gagner même si, bien sûr, on ne le dit pas – encore – ouvertement. Cet espoir est cependant très perceptible. On sent également un souffle nouveau dans cette équipe. Tout cela se traduit par un fort soutien populaire ; cela n’avait plus été le cas depuis longtemps. Le tournant date de la victoire spectaculaire de la France face à l’Ukraine en novembre 2013, ainsi que du bon parcours des Français au Brésil en 2014, qui ont perdu de justesse face au vainqueur de la Coupe du monde. Le nouveau sourire de cette équipe de France, qui a retrouvé un lien très fort avec les Français, fait plaisir à voir, et on ne demande qu’à ce qu’il s’élargisse. Et à recréer des moments de joie collective qui manquent cruellement.
Le deuxième enjeu est sécuritaire. Des dispositifs draconiens sont adoptés dans un contexte de menace terroriste, qui n’est d’ailleurs pas propre à la France. Même le Brésil, dont la situation stratégique est très différente de celle de la France, va déployer un dispositif pour les Jeux olympiques (JO) de Rio qui n’est pas loin d’égaler le dispositif français à l’échelle nationale, et ce pour une seule et unique ville ! Bien entendu, des menaces spécifiques pèsent sur la France. Cette dernière a pris toutes les mesures nécessaires et possibles. Mais aujourd’hui, tout évènement sportif mondialisé attire les terroristes, dont le but premier est de communiquer, attirer les médias pour frapper les esprits. Ces grands évènements ultra-médiatisés sont donc des occasions rêvées. En même temps, on peut s’interroger sur leur place accordée dans les médias : cela ne contribue-t-il pas à créer un climat anxiogène ? Y-a-t-il des risques ? Oui. Mais il y en a également quand on prend sa voiture ou l’avion ou dès que l’on sort de chez soi. Les risques ne doivent pas nous empêcher de vivre : c’est ce que recherchent nos ennemis.
Le troisième enjeu concerne l’image de la France dans le monde. Il est important d’envoyer un message positif : oui, la France peut accueillir un évènement qui rassemble des millions de visiteurs. Sur 2,5 millions de billets, 1,5 million ont été vendus à des étrangers, qui n’ont pas annulé leur participation suite aux attentats du 13 novembre 2015. Il y a donc un enjeu touristique considérable. Évidemment, il faudra que les touristes étrangers soient bien reçus, dans des conditions dignes de ce nom.
Le quatrième enjeu interroge l’équipe de France, en tant que reflet de la société. La question de l’intégration a soulevé beaucoup de questions. La non-sélection de Benzema et de Ben Arfa a fait débat : beaucoup ont avancé que leurs origines maghrébines avaient justifié cette décision et certains ont même mis en cause personnellement le sélectionneur, Didier Deschamps, pour cela. Le mythe « black-blanc-beur » serait ainsi ruiné. Je crois qu’il faut resituer cet ensemble de questions dans un contexte plus général. Dire qu’il y a du racisme en France et que de nombreuses voix – pour des motivations racistes – se sont élevées pour que Benzema ne soit pas retenu est une réalité. Ce n’est pas pour cela que D. Deschamps, qui a prouvé tout au long de sa carrière qu’il était hermétique voire hostile au racisme, n’a pas sélectionné Benzema. Il a souhaité offrir un équilibre au sein des 23 et préparer une bonne ligne d’attaque. Il est donc injuste de l’accuser de racisme. Les responsables politiques qui ont vivement applaudi à cela n’ont pas rendu service à l’équipe de France, pas plus que K. Benzema qui ne s’était jamais signalé auparavant dans la lutte antiraciste, contrairement à des joueurs comme Lilian Thuram lorsqu’il était en activité. Est-ce que cela vient casser l’intégration ? On voit bien que non. L’équipe de France est diverse. Il faut d’ailleurs se rappeler à propos du mythe « black-blanc-beur » que seul Zidane était parmi les « beurs ». Au sein des 22 sélectionnés de 1998, il y avait beaucoup de blancs et de blacks et un seul « beur » : Zidane. Aujourd’hui, il y a Rami, rappelé en doublant plusieurs arrières sur la ligne. Il est bien la preuve que D. Deschamps n’est pas raciste.
Le football reste un facteur d’intégration. Bien sûr, dans la mesure où nous avons des problèmes, il est attaqué, et notamment par ceux qui sont hostiles à l’intégration et au vivre ensemble car, comparé à d’autres secteurs de la vie sociale, ce sport est bien plus mélangé. Il n’y a qu’à regarder le profil de l’équipe de France et le profil des rédactions dans les médias qui parlent d’intégration pour voir qu’il y en a un qui a réussi là où l’autre a encore du chemin à parcourir. Sans parler de la vie politique française…
L’Euro 2016 constitue enfin une répétition pour la candidature de Paris aux JO de 2024. Un Euro et des conditions d’accueil réussis viendront crédibiliser et renforcer le dossier de candidature pour les héberger. Donner l’image d’un pays bloqué par les problèmes sociaux desservirait la France. Le Gouvernement et la Confédération générale du travail (CGT) espèrent chacun faire plier l’autre du fait de l’Euro. Contrairement à un match de football, il n’y aurait, en cas de blocage prolongé, que des perdants.