hanteur, acteur et écrivain français, Magyd Cherfi est membre du groupe Zebda. Il répond à mes questions à l’occasion de son dernier ouvrage : « Ma part de gaulois », paru aux éditions Actes Sud.
Vous écrivez : « l’exception française c’est d’être Français et de devoir le devenir ». Que voulez-vous dire?
Je veux dire que dans la rue française, on considère « l’arabe » ou « le noir » comme un immigré, un sans-papiers, un clando, quelqu’un d’ailleurs. Autrement dit, quand on est brun ou noir, on est assigné à « l’ailleurs », tandis que dans la rue américaine, un noir est certes noir mais il est Américain, même dans l’œil du raciste. Ainsi, même contesté, il est assimilé à un citoyen américain. En France, l’évidence est à la couleur de peau et à l’apparence. La législation, le droit – aussi rigoureux soit-il – ne fait pas d’un fils d’Algérien ou de Sénégalais un fils de la Nation. D’ailleurs, au sein de la Nation, aucun symbole ne fait place aux enfants de l’immigration. Il y a une suspicion qui empêche les uns et les autres de se mouler dans un « récit français ». Ce dernier n’est pas à mon sens suffisamment ouvert, universel, mais trop figé dans le patrimonial. Il nous faut prouver sans cesse qu’on est du « cru » A supposer qu’il en reste un assez vivace qui fasse place aux derniers arrivants.
Au fond, les questions à se poser sont multiples : qui est Français ? Qu’est-ce qu’être Français ? Qui est pris pour un Français ? Qui ne l’est pas ? Il y a à mon sens une identité cosmopolite qui se doit d’être énoncée.
Vous écrivez : « le bac est une anecdote pour le blanc et un exploit pour l’indigène ». La situation ne s’est-elle pas spectaculairement améliorée depuis que vous avez décroché le bac ?
Bien sûr que tout ça s’est amélioré ! D’ailleurs, je raconte « mon bac », et c’était il y a une trentaine d’années. Mais ce que j’ai voulu souligner c’est qu’on était a l’époque condamné par ceux de l’intérieur (mes potes de quartier) qui considéraient que réussir c’était adhérer au discours des dominants, donc des oppresseurs et donc des « blancs ». C’était devenir traître à la cause, à la famille et à la religion.
Obtenir son bac c’était passer à l’ennemi. La difficulté n’est donc pas que scolaire pour l’obtention du bac ; elle est aussi psychologique, émotive et identitaire. Ce sentiment de trahir les siens en réussissant par la voie scolaire existe encore aujourd’hui. L’école a été pour moi le meilleur quand elle était pour beaucoup le pire.
À travers les exemples du père d’un de vos amis qui vous demande de féliciter vos parents pour votre parfaite intégration et celui de votre père que tout le monde tutoie directement, peut-on déduire qu’il y a un espace trop étroit entre le mépris et la condescendance que subissent les individus d’origine maghrébine ?
Oui. J’ai voulu soulever le fait qu’en France l’idée d’une bonne intégration fluctue selon les états d’âme des « politiques », parfois de la société, voire des médias. Par exemple on a jamais reproché à Platini ou Zizou de ne pas avoir chanté la Marseillaise et, soudain, quand la société se crispe, dès qu’elle n’est pas vainqueur, elle considère que tel ou tel d’origine maghrébine est un mauvais Français.
Je reproche la fébrilité de la valeur « République ». Moi-même, ayant marché à Toulouse après l’attentat de Charlie, je me suis entendu dire : vous êtes où ? (sous-entendu « vous » les maghrébins). Alors que j’étais venu en Français, fils de la République. On subit l’injonction d’être citoyen et quand on l’est on nous renvoie au gourbi indigène. On n’est jamais le bon Français, en fonction d’une défaite sportive, d’une échéance électorale ou d’une série d’attentats. On est jamais assez bon Français sauf à jouer la carte républicaine plus que les républicains ou celle d’une totale allégeance à la culture judéo chrétienne. On a besoin d’être accepté en tant qu’individus multiples. C’est le sens d’une société qu’on pourrait qualifier, non pas de métisse, mais de moderne.