Jean Ziegler, successivement Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation, puis vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, se bat depuis 15 ans à l’ONU en faveur des damnées de la terre. Ce sont ces moments qu’il relate dans son dernier ouvrage: Chemins d’espérance : ces combats gagnés, parfois perdus mais que nous remporterons ensemble, paru aux éditions du Seuil.
Vous retracez plusieurs de vos combats au service du peuple. Continuez-vous d’être optimiste ?
Je réponds par la voix d’Antonio Gramsci, philosophe et fondateur, avec Togliatti, du Parti communiste italien : « Contre le pessimisme de la raison – l’optimisme de la volonté ». Il n’y pas d’impuissance en démocratie. Pour abattre l’ordre cannibale du monde, il nous faut l’insurrection des consciences. Mon livre – comme d’ailleurs l’Institut de relations internationales et stratégiques que vous dirigez – veut y contribuer en fournissant des armes.
Pourquoi avez-vous subi une incroyable campagne de dénigrement et comment y avez-vous résisté ?
J’ai été le premier Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à être admis dans les territoires palestiniens occupés. J’étais alors Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation. J’ai révélé dans mon rapport la sous-alimentation organisée par l’occupant, notamment au sein du ghetto de Gaza. Ce rapport et ses recommandations (fin du blocus, levée des barrages, fin de la captation des terres et de l’eau, etc.) ont été ratifiés par une large majorité de l’Assemblée générale de l’ONU et du Conseil des droits de l’homme. Un chapitre particulier de mon livre raconte en détail la campagne de diffamation absurde organisée depuis lors contre moi par les gouvernements de Washington et de Tel-Aviv. La solidarité de nombre d’États de l’hémisphère sud et l’amitié de Kofi Annam m’ont permis de continuer mon combat : je suis actuellement vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Votre amitié avec Elie Wiesel pourrait surprendre certains de vos partisans. Comment l’expliquez-vous ?
Je m’en explique dans mon livre. J’ai été le sous-locataire d’Elie Wiesel à New York à la fin des années 50. Une amitié est née. Notre désaccord sur la nécessaire libération de la Palestine était total. Après la publication de La Suisse lave plus blanc, j’ai eu neuf procès sur le dos. Parmi les plus dangereux, il y avait celui mené par le banquier Edmond Safra et le spéculateur Nissim Gaon qui me demandaient des dommages et intérêts exorbitants tout en m’accusant d’antisémitisme. Elie Wiesel est allé voir Safra pour lui expliquer qui j’étais et que le reproche d’antisémitisme à mon égard était parfaitement absurde. Elie Wiesel m’a sauvé de la ruine.