Dans son ouvrage « Sauver l’Europe : le plan Védrine », paru aux éditions Liana Lévi, Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002, explicite les ressorts de la crise de confiance dans l’Union européenne (UE) et développe des propositions pour la surmonter.
Faut-il « plus d’Europe » pour répondre à l’actuelle crise ?
Au contraire ! Ou, en tout cas, pas avant d’avoir convaincu les peuples, et parmi eux les sceptiques, les déçus, les allergiques (les vrais anti-européens ne changeront pas) du caractère bénéfique de soutenir un projet européen repensé. Nous n’y arriverons que si les élites européistes, si longtemps arrogantes et méprisantes, font une « pause » pour prendre le temps de les écouter, admettent que les peuples ont le droit de vouloir préserver leurs identités, de conserver une certaine souveraineté, d’avoir une meilleure sécurité, et que c’est parce qu’il n’y a pas eu de réponse raisonnable à ces demandes, notamment de la part de la gauche, qu’ils se tournent vers les extrêmes. Si l’Europe cesse de « réglementer à outrance » (Junker), de se mêler de tout et de rien, qu’une nette subsidiarité lui est imposée, alors là, oui, plus d’Europe dans certains domaines (et d’abord un Schengen viable et efficace) redeviendra justifié.
La souveraineté est sous le feu des critiques. N’est-ce pas paradoxal d’un point de vue démocratique ?
C’est le « souverainisme » plus que la souveraineté qui est présenté comme une honte et un repoussoir et c’est en effet injustifié : pour les gens normaux, la conquête par les peuples d’une certaine souveraineté sur leur propre destin a été une immense avancée démocratique. Le désir de garder une certaine souveraineté, même exercée en commun par les Européens, est légitime. Même si le « souverainisme » prend parfois des formes extrêmes et absurdes, une condamnation dégoutée n’est pas la bonne réponse…J’espère que l’on commence à comprendre, après plusieurs résultats électoraux-chocs, jusqu’où peuvent aller des peuples furieux.
Vous distinguez les anti-européens des « eurosceptiques » que vous requalifiez de « dubitatifs ». Pouvez-vous développer ?
Les médias, surtout ceux qui travaillent au contact de la Commission de Bruxelles, appellent en bloc « eurosceptiques », sur un ton réprobateur, tous ceux qui ne sont pas des européistes convaincus ou des partisans inconditionnels de la méthode communautaire. C’est un amalgame contestable.
En réalité, il faut distinguer les vrais « anti » (anti euro, anti UE) des autres : le Front national et l’extrême gauche sont anti-européens, pas eurosceptiques. Il ne faut pas les confondre avec les simples sceptiques, les déçus (on avait promis une Europe sociale, elle n’est pas là), les allergiques à la réglementation « à outrance ». À mon avis, tous, à part les vrais antieuropéens idéologiques, peuvent être convaincus de soutenir à nouveau le projet européen s’il est reconcentré sur l’essentiel (subsidiarité, que l’UE cesse de se mêler de tout). D’où le « plan » que je développe dans mon livre. Pause pour écouter les peuples, conférence refondatrice et de subsidiarité, referendum de re-légitimation. Le « système » européen doit se réformer, ou être réformé.