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De nombreux responsables politiques, experts et journalistes s’étaient indignés lorsqu’en 2019 le président Macron avait déclaré que l’OTAN était en état de mort cérébrale. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les déclarations tant de Donald Trump que de son vice-président J.D. Vance viennent confirmer ce constat. Le signal envoyé par les États-Unis, qui était attendu, est qu’il ne fallait plus que ni les Européens ni les Ukrainiens ne comptent sur leur soutien dans le contexte de la guerre en Ukraine. Les États-Unis ont l’intention de négocier directement ces questions avec la Russie sans participation des Européens, ni même des Ukrainiens.
C’est un choc énorme pour les Européens qui depuis trop longtemps avaient compté sur les États-Unis pour assurer leur sécurité. Les projets d’autonomie stratégique européenne, qui étaient régulièrement défendus par la France – même si elle était sur ce sujet moins allante depuis le début de la guerre en Ukraine – étaient considérés comme attentatoires aux liens transatlantiques. Désormais, l’Europe est mise devant le fait accompli : les États-Unis lui imposent de se débrouiller. La sécurité européenne ne les concerne plus. L’autonomie stratégique européenne n’est plus une option contestable, elle est devenue une nécessité impérieuse.
Il est ironique de constater que tous ceux qui, depuis très longtemps, estimaient que l’autonomie stratégique européenne était une chimère dangereuse pour la solidarité atlantique sont désormais les premiers à dire qu’il faut s’y préparer. Ceux qui plaident depuis longtemps pour l’autonomie stratégique européenne étaient considérés comme non crédibles.
Comment réagissent les Européens face à ce choc ? La France a réuni lundi 17 février un petit comité d’États européens pour aborder cette situation et s’accorder par rapport à ce coup d’éclat américain. Tous les membres de l’Union n’étaient pas invités. Ceux qui ne l’ont pas été ont été vexés, notamment les Roumains et les Tchèques. Une seconde réunion élargie a ensuite eu lieu. Ces échanges ont a minima eu le mérite de poser la question de savoir s’il faut continuer à aider l’Ukraine parce qu’il est inacceptable qu’elle perde ? De savoir s’il faut envoyer des troupes comme force de maintien de la paix ?
Cette deuxième option pose un problème. La Russie est hostile à l’envoi d’une force de maintien de la paix s’il s’agit de troupes de pays membres de l’OTAN. D’ailleurs, les États-Unis affirment ne pas vouloir soutenir cette option. Le Royaume-Uni, qui soutient un envoi de troupes, reconnait que sans le soutien américain, cela est difficilement envisageable. Pourquoi évoquer une solution dont on sait qu’elle n’est pas réalisable ?
On parle de permettre à l’Ukraine de continuer la guerre. Mais est-ce souhaitable ? Est-ce qu’il y a une chance que l’Ukraine puisse récupérer les territoires qu’elle a perdus ? Dans ce cas, la poursuite de l’aide militaire directe à l’Ukraine pourrait être envisagée. Mais cet objectif, déjà irréalisable avec l’aide américaine, l’est encore moins aujourd’hui.
Pourquoi prolonger une guerre que l’Ukraine ne gagnera pas et qui va encore plus l’affaiblir ? Les Européens sont donc dans une impasse puisque, depuis trop longtemps, ils ont déclaré que c’est l’Ukraine seule qui décidera de la fin de la guerre, se privant ainsi de toute capacité d’influence sur le dossier ukrainien. L’Europe s’isole de plus en plus, et risque d’apparaître, aux yeux des pays du Sud global, comme responsable de la prolongation d’une guerre qui n’a plus de sens, et qui doit se terminer, sauf à consumer plus de vies, d’énergie et d’argent.
Il est curieux de voir le président Zelensky plaider pour une armée européenne, exiger une aide européenne, lui qui, pendant très longtemps, affirmait que seuls les États-Unis pouvaient aider l’Ukraine. Il a mis tous ses œufs dans le panier américain, il a même d’une certaine manière méprisé les Européens, en les maltraitant parfois. Face à Donald Trump, il s’est aperçu qu’il avait fait fausse route, et demande aux Européens d’agir encore plus, ceux-là mêmes qu’il regardait de haut auparavant.
Il n’y a désormais plus de choix. Faut-il de ce fait augmenter de façon drastique les dépenses militaires ? Ce n’est peut-être pas nécessaire de se lancer dans une course aux armements pour atteindre 3 à 5% du PIB, ce qui mettrait à mal les finances publiques des États membres. Si ces derniers respectent l’engagement de 2 % du PIB en matière de défense, ce serait déjà un résultat appréciable.
Il faut résister aux propositions irréalistes, à l’image de celle formulée par Ursula Von der Leyen souhaitant accélérer l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne puisque la porte de l’OTAN est fermée. Chacun sait que l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne serait un désastre. L’Ukraine n’en a pour le moment pas les moyens. Elle est trop loin des critères économiques et surtout des critères de corruption et de gouvernance exigés pour intégrer l’UE. Il n’est pas certain que tout l’argent envoyé tombe dans les bonnes poches. Par ailleurs, l’agriculture française ne résisterait pas à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. L’Ukraine avait fait le choix de l’OTAN, l’Union européenne n’est pour elle qu’un choix par défaut.
Cet article est également disponible sur le site de l’Iris et le site de Mediapart.