« Une histoire populaire du Football » – 4 questions à Mickaël Correia

Journaliste à Mediapart, Mickaël Correia répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage, Une histoire populaire du Football, publié chez La Découverte – Delcourt.

Dès l’origine, le Football est soumis à une lutte des classes ?

En Grande Bretagne, depuis le XIVe siècle, les paysans pratiquent des jeux de ballon collectifs qui posent problème aux autorités. Ces parties de proto-football réunissent en effet des paysans dans des ambiances conviviales qui servent à renforcer la cohésion villageoise, mais aussi parfois dans la violence. Pis, les parties peuvent être détournées à des fins insurrectionnelles contre de riches propriétaires.

Le XVIe marque ensuite le moment où la privatisation des terres fait main basse sur les communs des paysans (les prairies, les forêts) où se pratiquaient ces jeux de ballon. On assiste alors à une domestication des jeux populaires : les espaces vont se réduire et les règles se préciser pour éviter tout débordement. Au XIXe, la bourgeoisie victorienne se réapproprie ces jeux de ballon et le rationalise en sport moderne donnant naissance au football. Elle l’utilise dans ses écoles privées comme instrument disciplinaire pour inculquer à la jeunesse bourgeoise des valeurs propres à la révolution industrielle en cours : l’esprit d’initiative et de compétition, l’obéissance au chef, le virilisme.

Ensuite, en sortant de ces écoles, ces jeunes deviennent patrons d’usine et veulent diffuser le football aux ouvriers. Le patronat voit le ballon comme un outil de contrôle des classes populaires à une époque où ces dernières s’organisent en syndicats et luttent pour améliorer leurs conditions de vie. Mais le football est dès la fin du XIXe siècle réapproprié par les ouvriers anglais qui, issus d’un exode rural massif, ont besoin de se recréer des repères sociaux. Ils vont dès lors faire du foot une culture populaire à part entière, notamment en donnant naissance au jeu de passe, qui reflète l’entraide propre aux communautés ouvrières de l’époque. En ce sens, le football va participer à faire émerger une conscience de classe dans l’Angleterre industrielle.

Il est rapidement parti à la conquête du monde…

La diffusion du foot s’effectue à travers l’expansion de l’empire britannique. Que ce soit en Amérique latine, en Afrique ou sur la façade asiatique, à travers ses capitaines d’industrie et ses clergymen, mais aussi par ses militaires ou encore ses marins et travailleurs portuaires.

Les lieux où le foot s’installe sont d’abord des ports industriels où passent les Britanniques, comme à Port Elizabeth en Afrique du Sud (ou au Havre, premier club de France). Puis, plus tard, avec l’extension des chemins de fer. Le premier club uruguayen est par exemple créé par des travailleurs anglais de la compagnie de chemin fer britannique de Montevideo.

Mais le moteur de sa conquête réside aussi dans la simplicité des règles du foot et dans le fait qu’il faut peu de moyens pour pratiquer ce sport : un ballon et un bout de terrain suffisent pour jouer.

Vu comme un instrument de domination des peuples colonisés, ces derniers se le sont rapidement réapproprié…

Les peuples colonisés africains vont créer partout des clubs autonomes, gérés par une élite urbaine non blanche. Rapidement va émerger la conscience que si l’on peut s’autogouverner au sein d’un club, on peut aussi se gouverner à l’échelle d’un pays. Ces clubs vont être des laboratoires populaires de la pensée indépendantiste.

A partir des années 1930, on commence à entendre des slogans indépendantistes dans les tribunes. Et on va voir des victoires de clubs de colonisés contre des « Européens », une revanche symbolique qui va effrayer les administrations coloniales. En 1957, un match au Congo belge qui a vu s’affronter une formation de joueurs noirs à une équipe de Bruxelles va créer la polémique. Les Bruxellois emportent la partie, mais l’arbitrage partisan qui a abouti à l’annulation de deux buts congolais attise leur colère. Le match se termine par une violente émeutes. Des historiens affirment que cet événement a présagé les grandes révoltes de Léopoldville en 1959.

En Algérie, le FLN va même monter une équipe de football professionnelle de 1958 à 1962 avec des stars comme Rachid Mekhloufi qui vont quitter clandestinement la métropole pour rejoindre ce « Onze de l’indépendance ». Via des matches à travers le globe, l’équipe incarnera un porte-drapeau des revendications indépendantistes du peuple algérien. Les années 1950 vont aussi voir émerger les premiers matches inter-africains. Le sentiment de « fierté nationale » va s’y aiguiser, jusqu’aux indépendances.

Les femmes sont l’avenir du foot ?

Il y a un sexisme systémique dans le football. Le foot institutionnel véhicule encore des valeurs masculines très hétéronormées. Une femme qui joue au ballon met en scène une autre vision du corps féminin et brise par là même les stéréotypes de genre autour de la féminité. Depuis la Coupe du monde féminine de 2011, le football féminin gagne petit à petit le cœur des supporters comme des sportives. Et de plus en plus de militantes féministes investissent le football pour mieux dénoncer la domination masculine à l’œuvre dans l’industrie du sport.

L’essor du foot féminin est une chance pour le maillage des petits clubs amateurs en déclin car ce sont des espaces précieux pour le lien social dans les territoires. Et le football professionnel féminin remet en avant un des fondements du ballon rond : prendre du plaisir sur le terrain.

Cet article est également disponible sur Médiapart et sur le site de l’IRIS.