Les 14 et 28 mai auront lieu en Turquie des élections à deux tours pour les présidentielles, à un tour pour les législatives qui peuvent changer le paysage politique du pays. Pour la première fois depuis qu’il est au pouvoir – deux décennies– Recep Trayiip Erdogan n’est pas sûr de sortir vainqueur des élections et son pouvoir est réellement menacé. Il est donné battu dans les sondages, même s’il convient de rester prudent. Les électeurs ne suivent pas forcément les sondés.
Qu’est-ce qui est venu affaiblir Erdogan pourtant, si sûr de son aura. Il y a bien sûr l’usure du pouvoir, phénomène traditionnel. Il y a aussi l’inquiétude face à la dérive autoritaire de nombreux Turcs craignant qu’un nouveau blanc-seing électoral à Erdogan ne lui permette d’établir une quasi-dictature. Il y a la gestion critiquée du tremblement de terre qui a fait plus de 50 000 victimes. Certes il s’agit là d’une catastrophe naturelle, mais le nombre de victimes est aussi dû au défaut de contrôle dans les constructions, non sans lien avec des affaires de corruption.
Enfin, et surtout, pèse contre Erdogan la situation économique déplorable du pays : l’inflation approche les 100 % par an, la livre turque a perdu 200 % de sa valeur face à l’euro, les difficultés quotidiennes et l’appauvrissement de nombreux Turcs…
Or, jusqu’ici, Erdogan était crédité d’une réussite économique, le pouvoir d’achat des Turcs a quadruplé pendant les 10 premières années de son pouvoir. Aujourd’hui, il est revenu au niveau de 2007/2008.
Certes, il y a les succès diplomatiques, les patriotes turcs lui sont reconnaissants d’avoir placé Ankara assez haut sur la scène internationale, face aux Occidentaux tout en étant membre de l’OTAN. La Turquie a d’excellentes relations avec la Russie tout en fournissant des drones à l’Ukraine et peut se targuer d’être à la tête du seul pays qui a su organiser des négociations directes entre Russes et Ukrainiens qui ont permis un accord sur l’exportation de céréales et éviter une crise alimentaire mondiale. La place de la Turquie sur la scène mondiale est bien plus importante qu’il y a 20 ans.
L’une des inconnues du scrutin repose sur les six millions de primo-votants, 10 % du corps électoral, qui devrait normalement être plutôt favorables au candidat de l’opposition du pays.
Si l’opposition venait à l’emporter, y aurait-il un changement radical ? Sur le plan intérieur, c’est certain il y aurait un souffle nouveau pour les libertés, les nombreux intellectuels qui ont fui la répression pourraient revenir au pays et la peur qui règne sur les journalistes, avocats ou professeurs qui prennent des positions qui déplaisent au pouvoir, prendrait fin.
Il n’est pas certain, en revanche, que la diplomatie turque connaîtrait une rupture.
Et celles-ci sont très rares dans le domaine géopolitique. Il y a en cas d’alternance, généralement des évolutions rarement des révolutions. S’il était élu, Kemal Kiliçdaroglu mettrait certainement fin aux diatribes, voire aux insultes, dont Erdogan a usé et abusé à l’égard des dirigeants européens. Il serait plus courtois. Pour autant il n’irait pas modifier l’ADN géopolitique de la Turquie. Il continuerait à avoir de bonnes relations avec Moscou et avec les Occidentaux parce que c’est l’intérêt national de la Turquie. La question kurde resterait centrale, il pourrait accepter l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Mais si Erdogan restait au pouvoir, il finirait par en faire de même.
Les Européens ne doivent pas se faire d’illusions excessives en cas d’alternance. Certes cela permettrait d’ouvrir une nouvelle page. Cependant Kemal Kiliçdaroglu a demandé de n’être pas soutenu publiquement par les Européens pour ne pas donner d’arguments à Erdogan en jouant sur la fibre patriotique et le rejet des interventions extérieures. Car si Erdogan a changé de politique, est devenu plus confrontationnel avec les Occidentaux, c’est dû au coup d’État manqué de 2016 (où il estime n’avoir pas été soutenu par ses alliés), mais aussi au sentiment que les pays européens n’ont pas été respectueux de la Turquie à partir de 2007-2008, en lui claquant la porte au nez pour les négociations. De même, les Turcs pensent majoritairement que les États-Unis les ont toujours considérés de haut et jamais comme de véritables partenaires. Le prochain président turc quel qu’il soit, voudra montrer à ses concitoyens qu’il sait faire respecter son pays sur la scène internationale.
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