Frédérik Legat est historien, spécialiste des enjeux géopolitiques du football, auteur des « Destins maudits du football » (2020) et de « Les plus grands exploits de la Coupe du monde » (2021). Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Géopolitique du football (1900 – 1939) » paru aux éditions Bibliomonde.
Contrairement aux affirmations d’apolitisme de sa naissance internationale comme sport, le football a eu des enjeux géopolitiques…
Bien sûr. Pas dans ses toutes premières décennies mais le premier conflit mondial est un tournant. En 1912, déjà, le grand-duché de Finlande avait éliminé l’Empire russe, dont il faisait pourtant partie, ce qui avait entraîné des récriminations en nombre de la part de Saint-Pétersbourg au sujet de sa participation.
Aux lendemains du premier conflit mondial, le sport est devenu une guerre, les morts en moins. Dès les Jeux olympiques (JO) d’Anvers en 1920, la finale Belgique-Tchécoslovaquie est émaillée d’incidents sur le terrain et dans les tribunes. Cette première manifestation de nationalisme sportif aura de beaux jours devant elle : l’Europe de l’Entre-deux-guerres, avec la montée des tensions inhérentes à l’avènement de dictatures désireuses de réviser les traités internationaux au besoin par la force (Hongrie, Italie, Allemagne) entraînera la banalisation de la violence, qui deviendra même monnaie courante dans les années 30. Cette violence est directement liée aux tensions internationales qui vont entraîner la Seconde guerre mondiale.
Comment et dans quel cadre géopolitique le football va-t-il renaître après la Première guerre mondiale ?
Le football sort renforcé de la Grande guerre. Les États-majors y ont eu recours pour soutenir le moral des troupes pendant les périodes de repos. Dans toutes les armées, durant plus de quatre ans, beaucoup de soldats d’origine rurale le découvrent, bien souvent initiés par des pratiquants urbains et le pratiqueront plus tard dans le civil. Le nombre de pratiquants et de clubs augmente sensiblement partout en Europe continentale dès la fin de la guerre.
La renaissance du football passe par les vainqueurs : les Jeux interalliés de Paris en 1919 en sont l’exemple et sonnent la reprise des compétitions. Les vaincus de la guerre resteront ostracisés jusqu’aux JO d’Amsterdam (1928). Et malheur aux neutres qui contreviendraient à ce principe, comme la Suisse, exclue du tournoi de football des JO 1920 après un match amical contre l’Allemagne !
Épargnée des désastres de la guerre, l’Amérique du Sud en profite pour devenir un pôle d’excellence du football. La première Copa América est organisée dès 1916. L’Uruguay notamment, championne olympique à Paris et Amsterdam, puis le Brésil, révélation de la Coupe du monde 1938 organisée en France, dévoilent aux yeux du public européen un continent qui n’est encore accessible qu’après une traversée de 15 jours en paquebot.
Évidemment, la création en 1930 par la FIFA d’une Coupe du monde ouverte aux professionnels (par opposition aux idéaux des hiérarques du CIO) accélère encore plus le processus, qui est désormais irréversible. La mondialisation du football est partie ; elle ne s’arrêtera plus.
Mettez en avant la montée en puissance du football danubien
Dès avant la Grande guerre, l’Empire austro-hongrois est le pôle référence du football sur le continent. L’adhésion de la fédération de Bohème-Moravie a été refusée en 1908 par la FIFA, qui ne reconnaît que l’Autriche et la Hongrie pour ne pas avoir l’air de cautionner le problème des nationalités. Dissoute, elle ne se créera à nouveau qu’à l’indépendance de la Tchécoslovaquie en 1918. Dès 1919 le jeune État remporte les Jeux interalliés et il est finaliste des JO 1920.
Les trois nouveaux pays, Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie, passent au professionnalisme dès 1924. Ils créent alors la Coupe internationale (précurseur de l’Euro) et la Coupe Mitropa (ancêtre de la Coupe d’Europe), compétitions ouvertes uniquement aux pays d’Europe centrale, auxquels se joignent l’Italie et la Suisse. Les résultats ne se feront pas attendre : la Tchécoslovaquie est finaliste de la Coupe du monde en 1934 et la Hongrie en 1938.
Il faut expliquer que le football danubien de cette époque est juif, surtout en Hongrie. L’avènement du régime antisémite d’Horthy en 1920 provoque une diaspora des juifs hongrois chez les voisins. C’est l’ère des grands clubs juifs tels que le MTK Budapest, le Maccabi Brno, l’Hakoah Vienne, qui disparaîtront dans la tourmente de la Seconde guerre mondiale ou de ses prémices.
Ces pays de l’Europe centrale seront parmi les premiers à renaître sportivement parlant dès 1945, avec la réussite qu’on leur connaît dans les années 50 et 60.
Le football a-t-il été le reflet de la montée des tensions internationales précédant la Seconde guerre mondiale ?
Tout à fait. Le rôle de l’Italie fasciste est primordial. Le climat de violence ouverte sur le pré est largement corrélé à la violence observée dans la société italienne depuis le début des années 20 et à la montée du fascisme durant la période du squadrisme. On l’observe sur tous les terrains européens, partout où l’Italie ou ses clubs se produisent.
C’est visible d’abord sur le terrain : la Squadra azzura a un jeu basé sur la destruction physique de l’adversaire. La fameuse Bataille de Florence en 1934 contre l’Espagne, dirigée par un gouvernement de Front populaire, fait une quinzaine de blessés parmi les joueurs en deux jours. Elle préfigure l’intervention italienne dans la Guerre civile espagnole deux ans plus tard.
C’est également observable dans les tribunes. Cette violence est avant tout une « spécialité » italienne : le calcio dominical est gangrené par ces violences dans les années 20 mais Mussolini y met promptement fin. Les tribunes européennes vont être alors le lieu d’affrontements, comme en 1937 à Vienne où de violentes bagarres opposent des supporters triestins à des Viennois anti-fascistes au cours duquel les Italiens laissent 16 blessés sur le pré. La Coupe du monde 1938 en France, où l’Italie joue à Marseille, voit également de nombreuses manifestations anti-italiennes partir des tribunes où sont présents de nombreux immigrés originaires de la Botte.
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