Condamnation de la Russie : les cartes parlent

Le 24 février 2022, la Russie lançait une guerre d’agression contre l’Ukraine en violation de toutes les normes de droit international. Immédiatement, une condamnation quasi unanime de la communauté internationale – qui pour une fois méritait son nom – a été votée à l’Assemblée générale des Nations unies. La Russie a, par un vote au sein de la même AGNU, été exclue du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. L’approbation de cette exclusion était alors un peu moins large. Enfin, certains pays ont pris des sanctions contre la Russie. Si l’on parle de sanctions internationales, il faut bien admettre qu’il s’agit avant tout de sanctions occidentales. Il ne faut pas faire l’erreur de confondre l’Occident et le reste du monde. À travers les cartes qui vont suivre, on envisage plus nettement la différence entre l’ampleur de la condamnation et le soutien plus relatif aux décisions qui ont suivi.

Lors du vote du 2 mars 2022 de l’Assemblée générale des Nations unies de la résolution A/RES/ES-11/1 sur la condamnation de l’agression russe contre l’Ukraine, seuls cinq pays se sont opposés : en Europe, évidemment, la Russie et son allié biélorusse, en Afrique, l’Érythrée, au Proche-Orient la Syrie, et en Asie, la Corée du Nord. Ce « club des 5 » n’est pas surprenant. L’abstention a été plus large. En Amérique latine, la Bolivie, Cuba, le Salvador et le Nicaragua se sont abstenus. Des pays traditionnellement plus proches des positions de Moscou. En Afrique, un nombre plus important de pays se sont abstenus : l’Algérie, l’Angola, la Centrafrique, Madagascar, le Mali, l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Zimbabwe et l’Ouganda. Un ensemble des pays très divers : certains furent des alliés de l’Union soviétique du temps de la guerre froide (Angola, Mozambique). D’autres dépendent de la Russie d’un point de vue économique ou sécuritaire (Centrafrique). D’autres enfin sont des pays traditionnellement pro-occidentaux mais qui n’ont pas voulu, cette fois, prendre le parti du monde occidental. En Asie, la Chine bien sûr, mais également l’Inde, le Pakistan et quelques autres pays, alliés traditionnels ou de circonstances de Moscou, se sont abstenus. Au lendemain du déclenchement de la guerre, la condamnation fut donc très large, ou du moins l’opposition à cette condamnation très restreinte.

S’agissant de l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme, résolution de l’Assemblée générale du 7 avril 2022, l’opposition fut plus conséquente. Bien sûr, on retrouve en Europe la Russie et la Biélorussie ; en Amérique latine, la Bolivie, Cuba et le Nicaragua ; en Afrique, l’Algérie, le Burundi, la Centrafrique, l’Érythrée, le Gabon, le Mali, la République du Congo et l’Éthiopie ; au Proche-Orient, la Syrie et l’Iran ; en Asie, une liste moins surprenante composée de la Corée du Nord, la Chine, le Vietnam, le Laos, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kazakhstan et le Kirghizistan. Comme on peut l’observer sur la carte, l’abstention a été encore plus massive, sur tous les continents à l’exception de l’Europe.

Enfin, s’agissant de l’adoption de sanctions à l’encontre de Moscou, on retrouve un club purement occidental, composé des pays membres de l’OTAN et de leurs alliés traditionnels en Europe (Suède, Finlande, Suisse, Autriche, Irlande, Moldavie et évidemment Ukraine), dans le Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande) et en Asie (Japon, Corée du Sud, Taïwan, Singapour). Ces derniers ne sont pas culturellement des pays occidentaux, mais sont stratégiquement occidentaux. Enfin, certains pays latino-américains, proche des États-Unis d’un point de vue stratégique, se sont déclarés solidaires des sanctions occidentales (Colombie, Équateur, Paraguay).

Force est de constater que le fait de voter des sanctions pose plus de problèmes que de condamner l’agression. La Russie a effectivement subi une très large condamnation politique, mais l’application de sanctions économiques est nettement moins consensuelle. Pour beaucoup d’États, adopter des sanctions revient à suivre un agenda occidental. Certains ont été victimes de sanctions ou estiment avoir été victimes de sanctions, ce qui les pousse à ne pas suivre les Occidentaux. Le monde occidental a tellement eu recours à des sanctions en dehors du cadre onusien dans le passé que le reste du monde semble lassé de ses méthodes. Il existe également le sentiment d’un deux poids deux mesures dans l’application de sanctions : malgré des violations du droit international dans le cadre de conflits par certains pays occidentaux, aucun n’a jamais subi de sanctions à l’échelle internationale. Ce deux poids deux mesures est certainement l’argument majeur pour ne pas suivre les Occidentaux dans l’application de telles mesures.

Le monde occidental peut s’en offusquer, dénoncer le retour à un tiers-mondisme. Mais il n’empêche qu’il s’agit là d’une réalité, certes désagréable, mais bien visible. Si les Occidentaux veulent vraiment que la Russie soit isolée pour l’agression qu’elle a commise à l’égard de l’Ukraine, ils doivent être plus convaincants à l’égard du reste du monde et ne pas croire naïvement que leurs décisions seront appliquées sans discussion. Il y a là une vraie division du monde. Il ne s’agit pas d’un nouveau clivage Nord-Sud, mais il semble que les anciens pays du « tiers-monde » – éclaté depuis plusieurs décennies déjà entre pays riches producteurs de matières premières, pays les moins avancés, pays industrialisés, etc. – se rejoignent pour refuser l’alignement sur les sanctions occidentales à l’égard de la Russie.

Un nouvel exemple qui vient confirmer que le monde occidental a perdu non pas la puissance, mais le monopole de la puissance. Un nombre croissant de pays veut disposer d’un libre arbitre, et ne plus être contraint de s’aligner sur des positions ou des décisions occidentales. Le monde dans lequel les pays latino-américains suivaient docilement la position américaine, les pays africains, notamment francophones, suivaient naturellement et de façon quasi automatique les positions françaises ou européennes, est révolu. C’est bien ce que montre l’analyse des votes et des prises de position récentes concernant les graves violations du droit international auxquelles la Russie a eu recours en agressant l’Ukraine.

 

Ces trois cartes ont été réalisés à l’IRIS par Antoine Diacre et Victor Pelpel.

 

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