C’est toujours crucial pour un pays de réussir ses Jeux. C’est encore plus encore plus le cas pour le pouvoir chinois ?
C’est important pour tous les pays, démocratiques ou autoritaires. Mais la Chine a beaucoup mis en avant le récit de sa réussite, de ce nouvel élan dû au parti communiste, donc c’est certainement encore plus sensible. La Chine a voulu aussi communiquer sur le fait que Pékin sera la seule capitale à avoir à la fois organisé les Jeux d’été et d’hiver, mais ce récit triomphaliste est gêné, d’abord par le covid, qui va empêcher les spectateurs internationaux de venir, compliquer la compétition et finalement priver aussi les spectateurs chinois des épreuves. Le pouvoir chinois pensait que la crise du covid serait passée, qu’il pourrait justement faire la différence avec le Japon, où les Jeux se sont également déroulés sans spectateurs. Mais ce ne sera pas le cas.
D’autant qu’il n’y a pas moyen de reporter ces jeux de six mois puisqu’ils doivent forcément se passer en hiver, et que le parti voulait entamer l’année de son XXe congrès par un grand succès international…
Ils auraient pu être reportés d’un an, comme le Japon avait été douloureusement contraint à le faire, mais les Chinois étaient persuadés que cela allait s’arranger. Ensuite, il était trop tard.
Ce sera donc une fête du sport particulière, sans spectateurs et avec des sportifs isolés, servis par des robots. Glaçant ?
Les Jeux d’hiver n’ont pas le même impact que ceux d’été. Ils sont moins universels en termes de participation d’États et de disciplines. Mais là, effectivement, ça sera vraiment des Jeux sous cloche. Normalement, le village olympique est un lieu de rencontre où les sportifs de différentes nations peuvent fraterniser. Or ces contacts seront interdits.
Et il y a aussi, pour protester contre les violations des droits humains en Chine, ce boycott diplomatique décidé par les Américains, élargi au Canada, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande, Danemark, Pays-Bas, Lituanie…Un semi-échec pour Pékin ?
Effectivement, Pékin aurait dû voir converger les responsables politiques internationaux, être au centre du monde. Mais l’impact et le prestige que le pouvoir chinois comptait obtenir de l’organisation de ces Jeux seront nettement moindres par rapport à ses espérances. Les Chinois auraient pu choisir d’ignorer ce boycott, or ils lui ont donné un impact plus fort en le critiquant. Il faut cependant noter que, si certains dénoncent sincèrement les violations des droits de l’homme par la Chine, d’autres utilisent cette question comme un moyen de rivalité géopolitique pour mettre la Chine en difficulté.
Cela ramène à une question centrale : est-ce correct d’organiser des Jeux dans un contexte de violations graves des droits humains ?
L’universalisme du sport fait que les compétitions sportives n’ont pas lieu que dans des pays démocratiques. Même s’il était décidé que ce doit être le cas, qui déciderait qu’un pays est réellement démocratique ou ne l’est pas ? C’est parfois facile à trancher, mais souvent plus compliqué. Le sport doit aller à la conquête du monde : même si le fait d’accueillir une compétition n’est pas forcément le signe d’une démocratisation, on voit qu’au Qatar, bon gré mal gré, le sort des travailleurs étrangers a été amélioré suite aux pressions internationales à l’occasion de la future Coupe du monde.
Nous avons publié une interview de Thomas Bach où il répète que le CIO, qu’il préside, est neutre, qu’il n’a rien à voir avec la situation des droits humains en Chine. A-t-il raison ou fait-il preuve d’hypocrisie ?
Dire qu’il ne faut pas mélanger sport et politique, c’est bien sûr hypocrite, puisqu’ils sont étroitement mêlés, y compris lors de la désignation des pays hôtes. Choisir la Chine, c’était reconnaître son rôle sur la scène internationale. On peut par ailleurs se demander si Pékin est réellement une ville de sports d’hiver : ce n’est pas le cas ! Le site olympique est à 180 km de Pékin et sera recouvert de neige artificielle, ce qui est quand même un scandale écologique. Sauf que, au moment où il fallait choisir la ville hôte de ces Jeux d’hiver, il n’y avait que deux candidates, Almaty (Kazakhstan) et Pékin. Le CIO n’avait pas vraiment l’embarras du choix… Organiser les Jeux ou une Coupe du monde, c’est d’ailleurs prestigieux mais à double tranchant. La Chine est dans la lumière mais elle subit beaucoup plus de critiques que si elle ne les organisait pas. Si les Jeux de 2008 avaient été pour elle un succès en termes de prestige, ce sera moins le cas cette année.
Sur fond de tensions en Ukraine, le secrétaire général de l’ONU a appelé lundi le monde à respecter la trêve olympique. Une tradition respectée, vraiment ?
Non ! En 2008, le jour même de l’ouverture des Jeux de Pékin, la Géorgie avait lancé une attaque militaire contre l’Ossétie du sud et la Russie. La trêve olympique est une sorte de mythe hérité des Jeux de la Grèce antique, où elle avait vraiment cours. Ce n’est plus un tabou aujourd’hui…
Une rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine aura lieu en marge de la cérémonie d’ouverture le 4 février. Ça sert à ça aussi, les Jeux ?
C’est effectivement une tribune : 90 chefs d’Etats et de gouvernements étaient présents à la cérémonie d’ouverture des Jeux de 2008. Ils seront forcément moins nombreux la semaine prochaine, parce que les Jeux d’hiver sont moins universels et que la Chine est plus critiquée. Mais il sera intéressant de voir quels pays enverront une délégation politique et à quel niveau. Ce sera un très bon baromètre de l’influence diplomatique chinoise.
Propos recueillis par Véronique Kiesel pour Le Soir.