François Gemenne est chercheur du FNRS à l’Université de Liège, enseignant à Sciences Po et à IRIS Sup’, co-directeur de l’Observatoire Climat et Défense à l’IRIS. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Géopolitique du climat » chez Armand Colin.
Est-ce que la géopolitique du climat est plus faite de coopération que de compétition ?
Cela dépend des moments et des sujets. En réalité, nous sommes condamnés à la coopération, aussi lente et laborieuse soit-elle : à part peut-être la Chine, aucun pays n’a le pouvoir ou la capacité d’avoir une action décisive sur le climat. Le problème, c’est que cette coopération est souvent handicapée par la compétition. Ainsi, les pays industrialisés sont davantage préoccupés par la réduction de leurs propres émissions de gaz à effet de serre que par la réduction des émissions globales, ce qui les conduit souvent à ne rechercher des solutions que pour eux-mêmes. Si le changement climatique est un phénomène mondial, il affecte les pays très diversement – certains ont donc davantage intérêt à l’action que d’autres, et tous ne partent pas de la même ligne de départ.
Comment s’établissent les rapports de force entre États, ONG, scientifiques et opinion publique ?
Autour de la table de négociations, seuls les États sont représentés : les ONG et les scientifiques, mais aussi les entreprises ou les entités locales, ne sont pas parties prenantes de la négociation, mais essaient évidemment d’influencer les États, qui ne peuvent prendre des décisions qu’au consensus. Le problème, c’est d’abord que les États ne disposent pas de tous les leviers d’action, mais aussi qu’ils ont souvent tendance à remplacer leur action par des promesses non contraignantes. C’est pour cela qu’il est essentiel que l’opinion publique fasse pression sur les États pour que leurs promesses soient respectées.
D’une certaine manière, on traite du changement climatique, un problème du 21e siècle, avec les institutions du 20e siècle. Cela nous condamne à être sans cesse déçus par les négociations internationales : comme les décisions ne peuvent être prises qu’au consensus, cela donne un poids immense aux pays les moins-disants, et cela tue dans l’œuf toute ambition. Je pense qu’il faut aujourd’hui ouvrir la négociation à d’autres acteurs que les États, pour permettre d’avancer via des coalitions ad hoc, sans avoir besoin à chaque fois d’un consensus qui tire l’ambition vers le bas.
Quels types de conflits pourraient être déclenchés par le réchauffement climatique ?
Ils sont nombreux, et certains de ces conflits existent déjà aujourd’hui. Par exemple, dans plusieurs endroits du monde, la compétition pour les terres entre bergers nomades et agriculteurs sédentaires est exacerbée par la dégradation des sols et les changements dans les précipitations, ce qui donne lieu à des tensions et à des conflits, notamment au Nigéria ou autour du lac Tchad. Le changement climatique risque aussi de fragiliser les États les plus faibles, qui risquent de voir leur légitimité contestée s’ils ne sont plus en mesure de satisfaire les besoins primaires de leur population. La faim, par exemple, est un puissant moteur de révolutions. Il existe aussi la possibilité de conflits plus classiques entre deux États, bien sûr, notamment autour de la gestion de ressources communes, mais nos recherches montrent que ce ne sont pas les conflits les plus probables. Un monde plus chaud sera aussi un monde plus violent, mais l’essentiel des tensions et des conflits se feront ressentir à l’intérieur des États.
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