Interview de Pascal Boniface dans 20 minutes
Joe Biden et Vladimir Poutine se sont donc parlé, mais que retenir de cette rencontre ?
Ce qu’il y a à retenir de cette rencontre, c’est l’apaisement des tensions. On était dans une situation où chacun des pays n’était même plus représenté par leurs ambassadeurs respectifs. C’est quand même un degré assez fort de tension et d’hostilité entre deux nations. Le simple fait de renvoyer les ambassadeurs l’un chez l’autre montre la volonté de reprendre un contact et de faciliter la voie diplomatique. Ils ne sont bien sûr pas d’accord sur tout et ils ne le seront jamais mais on peut dire qu’ils se sont mis d’accord sur leurs désaccords.
Cela peut permettre de faire en sorte que les désaccords qu’ils ne manqueront pas d’avoir dans le futur n’empêcheront pas le fait d’avoir un dialogue et des contacts pour éviter que les conflits se transforment en escalade. Joe Biden a même employé le terme de « guerre accidentelle » qu’il fallait éviter.
Beaucoup d’observateurs disent que Joe Biden voit les relations diplomatiques avant tout comme des relations personnelles. En trois heures de réunion, peut-on vraiment établir ce type de relation ?
Les relations personnelles existent : il ne faut ni les sous-estimer, ni les surestimer. Ce qui compte avant tout, ce sont les rapports de force. Il y a eu trois heures de réunion, mais en comptant le temps de la traduction, cela donne au final une entrevue relativement courte. George W. Bush avait dit en 2001 quand il avait rencontré Poutine qu’il avait lu dans ses yeux que c’était un homme bien. Joe Biden ne dira jamais ça ! En revanche, il évitera peut-être de répéter que c’est un tueur. Donc, le côté personnel, le côté chaleureux n’existera jamais entre Vladimir Poutine et Joe Biden, mais ils peuvent normaliser leurs relations, et c’est déjà beaucoup.
La question de la cybersécurité s’est imposée comme un sujet majeur de la réunion et Joe Biden a donné une liste de cibles américaines à ne pas attaquer. Ne se met-il pas en position de faiblesse en faisant cela ?
Non, il veut marquer le rapport de force. Il a voulu montrer lors de cette réunion qu’il défendait des principes, notamment en parlant des droits humains, d’Alexeï Navalny… Il sait très bien que ça ne fera pas bouger Vladimir Poutine d’un pouce, mais il s’agissait de montrer que, contrairement à Donald Trump, il défendait des valeurs et les Etats-Unis. La cyberguerre va devenir un point essentiel et certainement de plus en plus occuper l’agenda des relations entre Moscou et Washington mais aussi les grandes puissances en général.
Le plus difficile, on le sait c’est de trouver l’origine de ces cyberattaques. Le fait de mettre sur la table le sujet, d’en parler avec Vladimir Poutine et de dresser des lignes rouges est important. D’autant plus que le chef d’Etat russe peut penser que, à terme, lui aussi pourrait être menacé par la cybercriminalité. Sur ce domaine, il y a en même temps compétition et rivalité entre les deux pays, mais il peut également y avoir coopération entre Moscou et Washington.
Ce sommet de Genève clôturait une grosse séquence internationale pour Joe Biden, la première de son mandat : peut-on dire qu’il a réussi à imposer sa patte ?
Il a réussi une sorte de levée du grand chelem puisqu’il a aligné quatre sommets en quelques jours : sommet du G7, sommet Etats-Unis-Union européenne, sommet de l’Otan et sommet Etats-Unis-Russie. Il a réussi à rassurer les Européens sur la solidité des liens transatlantiques, c’était son objectif. Il a réussi aussi, malgré les résistances européennes, à mettre la Chine au programme de l’Otan alors que c’est une alliance militaire et que géographiquement, il n’est pas forcément logique de parler de la Chine. Sauf que c’est l’objectif prioritaire de Biden et des Etats-Unis.
Enfin, lors de la rencontre Biden-Poutine, les deux ont gagné. Parce que Joe Biden a annoncé qu’il resterait ferme et montré qu’il se distinguait de Donald Trump, qui était dans la complicité avec Vladimir Poutine. Et Vladimir Poutine a gagné car il a parlé sur un pied d’égalité avec le président des Etats-Unis, ce qui ne correspond pas tout à fait au rapport de force entre Moscou et Washington.
Propos recueillis par Rachel Garrat-Valcarcel pour 20 minutes.