François Cailleteau, qui a fini sa carrière militaire comme chef du contrôle général des armées, est l’un des plus fins analystes des questions militaires en France. Il avait publié en 2011 un livre sur les guerres de contre insurrection « Guerres inutiles ? Contre insurrection, une analyse historique et critique » qui à mes yeux reste aujourd’hui encore une lecture indispensable pour comprendre pourquoi la plupart des interventions militaires occidentales ont été de gigantesques échecs malgré un rapport de force censé être ultra-favorable.
Son nouveau livre est consacré aux guerres qui ont été perdues par ceux-là mêmes qui les avaient déclarées. François Cailleteau souligne qu’on a décapité Louis XVI, peu guerrier et généralement vainqueur, et pas Louis XV qui a pourtant perdu beaucoup de guerres, sans parler de Napoléon qui figure au plus haut du Panthéon national et qui a laissé une France bien rabougrie par rapport à celle que la République lui avait léguée, et causé la mort de nombre de Français.
Il y a plusieurs péchés capitaux. Le premier, de viser à côté de la plaque. Par exemple s’engager en Russie sans avoir réglé la question espagnole pour Napoléon, ou de mettre sur pied une armée de taille incompatible avec les possibilités de la logistique.
Le second est de se lancer dans des actions en décalage avec les réalités ou les moyens dont on dispose. Comme déclarer la guerre à l’Allemagne en 1939 alors que l’armée française n’est pas prête.
Partir d’un cœur léger est le troisième piège. Entrer en guerre sans réflexion et sans véritables buts de guerre clairement identifiés, à l’instar de ce que fit Napoléon III au Mexique dont il paiera le prix, ou lorsqu’il commit une autre erreur catastrophique en déclarant la guerre à la Prusse en 1870.
Quatrième péché, s’entêter dans l’erreur comme le firent les empires russe et austro-hongrois dans la deuxième partie du XIXe siècle, pour être souvent conseillés par des courtisans qui n’étaient que des pousse-au-crime. Pour François Cailleteau, la concentration du pouvoir va conduire à la décision fatale pour les deux empires de se battre pour un sujet futile : le niveau des sanctions appliquées à la petite Serbie, 3 millions d’habitants à l’époque.
Enfin, cinquième faille : la folie des grandeurs, que l’on qualifierait aujourd’hui d’hubris, qui a souvent été la source de décisions catastrophiques. À cet égard, la volonté de Napoléon d’établir un blocus contre l’Angleterre au lieu de s’accommoder de son existence l’a conduit à prendre des décisions qui ont augmenté la popularité de la France dans les pays conquis et qui l’ont lancé dans les guerres catastrophiques espagnole et russe. Il estime qu’il aurait mieux fait d’accepter un condominium franco-britannique. François Cailleteau arrive d’ailleurs à mettre en doute le caractère de stratège génial que la légende a bâti autour de Napoléon. Les décisions allemande d’entrer en guerre contre l’Union soviétique ou japonaise de s’attaquer aux États-Unis, relèvent également de ces erreurs manifestes.
Quels sont les enseignements que François Cailleteau tire des multiples exemples qu’il cite ? La dissuasion nucléaire a modifié la donne, la France se voit garantir la sauvegarde de la patrie face à une agression potentielle. Faut-il intervenir en dehors de ce sanctuaire ? L’auteur n’élimine pas a priori toutes possibles interventions, encore faut-il éviter les décisions prises dans l’urgence sous l’effet de leaders d’opinion, plus habiles à susciter l’émotion qu’à pousser la réflexion et avec une connaissance trop sommaire du milieu dans lequel on intervient. Quel est le but ? Avons-nous les moyens de l’atteindre ? Enfin, comment finirons-nous ? Il est préférable de répondre à ces trois questions avant de lancer une intervention.
On appréciera les multiples exemples historiques fournis par l’auteur, la globalité de sa réflexion et la causticité de son écriture.
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